Apprendre en jouant ? Assassin’s Creed Discovery Tour

Dans le dernier JVH sur Assassin’s Creed Unity, je concluais en évoquant la sortie du Discovery Tour qui marquait une évolution importante dans la série d’Ubisoft en se positionnant très clairement sur le créneau de l’éducation. Ce mode éducatif accompagne les deux derniers épisodes de la série : Origins pour l’Egypte ancienne et Odyssey pour la grèce Antique.


Le Discovery Tour remplace-t-il l’enseignant ? Une histoire ancienne

A mon sens, la question n’a pas grand sens posé ainsi.
a) Ubisoft ne peut pas sortir le Discovery Tour en communiquant sur le remplacement de l’enseignant par la technologie. Cela les empêcherait d’accéder au marché que représente l’école. (Voir CHAPTAL, Alain. L’efficacité des technologies éducatives dans l’enseignement scolaire: analyse critique des approches française et américaine. Editions L’Harmattan, 2003.)
b) Les enseignants ne peuvent pas utiliser cet outil et affirmer que cela va les remplacer.
c) Toute pratique culturelle est forcément modifiée lors de son introduction dans un contexte scolaire. L’enseignant aura un impact dessus.

Rappelons que l’un des objectifs d’Ubisoft avec ce Discovery Tour est de percer dans le milieu éducatif. Cet aspect est largement mis en avant dans leur communication.
Ici, plutôt que de parler de la gamification de l’école, je vais préférer parler de la scolarisation du jeu vidéo.

La question de l’apprentissage 

On l’avait déjà vu lors de la première version pour Origins et l’Egypte Antique, le Discovery Tour est une version épurée du jeu de base, les combats sont absents, tout comme les quêtes et le scénario. A la place des visites guidées sont intégrées au jeu, le joueur arrive devant un monument remarquable, et peut appuyer sur un bouton pour lancer une voix off lui décrivant les lieux ou un aspect de la vie quotidienne des égyptiens de l’époque. Le « joueur » doit donc ensuite guider son avatar de point en point pour arriver au prochain cours magistral en suivant le fil d’Ariane.
On se retrouvait ici devant une pédagogie frontale assez classique : l’élève écoute et apprend ce que lui raconte la voix intégrée dans le dispositif. Les discours, bien souvent positifs, autour de la capacité du Discovery Tour d’offrir une expérience en même temps ludique et instructive, sont à mettre en face de la réalité de la pratique: en étudiant le dispositif, on s’aperçoit que le Discovery Tour prouve plutôt l’inverse. Pour apprendre l’élève doit poser la manette et écouter ce que le professeur lui raconte. Le tout donnant une pédagogie finalement assez classique comme l’explique Dominique Dirlewanger dans une conférence sur Assassin’s Creed Origins donnée à l’Université de Lausanne. On est donc en phase d’une dé-gamification du jeu vidéo, une notion que l’on retrouve dans les travaux de Victor Potier.

Qu’arrive-t-il aux Discovery Tour une fois rentrée à l’école ?

Dans les séquences observées et diffusées, on trouve est de deux types : on trouve des expérimentations (menées en partenariat avec Ubisoft) où les salles de classe sont massivement dotées en ordinateurs performants dernier et en licence du Discovery Tour, ce qui pose la question de la reproductibilité de cette expérimentation, et d’autres où l’enseignant vidéoprojete le Discovery Tour au tableau. Mais ce qui est intéressant dans les deux cas, c’est le rajout d’une fiche d’activité: généralement un ensemble de questions qui vise à fixer les informations entendues dans les tours. Plus qu’une preuve que le jeu seul ne suffit pas, et donc qu’il n’est pas éducatif par essence, c’est également une manière pour l’enseignant de ne pas disparaître derrière le jeu, en le ramenant vers une exercice scolaire et de garder une trace des apprentissages.
Ici, je me sers des vidéos de la chaine québecois Univers Social, et y’a notamment un extrait qui m’a intéressé, c’est quand un des enseignants expliquent l’expérience en classe : Ceux qui sont en mouvement et en action pour l’enseignant, suivent un fil d’Ariane et écoute un audio guide dans le Discovery Tour. Alors je sais y’a un effet de montage évident mais ça me semble intéressant.

Dans le cas du nouveau Discovery Tour sur la Grèce antique, les visites guidées ont une mise en scène différente : après activation et un fondu au noir, place à une scène cinématique qui navigue dans les divers endroits évoquées : et ce qui me semble important de voir comme différences ici, c’est la rupture avec l’avatar du joueur. On a ainsi une nette coupure entre nos déplacements et le lancement du cours. Dans le premier DT, on pouvait reprendre le contrôle de notre avatar tout en écoutant la suite du discours

De visites guidées, le Discovery Tour s’oriente vers un documentaire interactif. Le fait que l’ensemble de ces vidéos soient disponibles sur la chaîne officielle me conforte d’ailleurs dans cette idée.
Si certains extraits me semblent difficiles pour un élève de 6e, leur structure est plutôt bien pensé : On me parle d’Athéna Niké ? On m’explique dans la foulée son rôle dans la cité. Même chose, la mention des Panathéenées est rapidement suivi par sa description.

La nouveauté importante de la version Grèce Antique, c’est l’ajout des questionnaires qui interviennent en fin de visite et qui ne sont pas obligatoires. Le Discovery Tour évolue donc vers une forme scolaire incluant une évaluation.
On a donc un dispositif qui diffuse du savoir de manière frontale, laissant l’élève dans une certaine passivité, et ensuite qui l’évalue et le corrige. Est ce que dans son fonctionnement, le Discovery Tour n’émule-t-il pas le fonctionnement d’un cours ?

On peut replacer le Discovery Tour dans l’histoire du jeu éducatif : Enseignement Assisté par Ordinateur dans les années 80, serious game actuel (Vivre Au Temps des Chateaux Forts embarque des vidéos pédagogiques suivies de QCM), voir jeux plus grand public Versailles, Complot à la Cour du Roi Soleil .

L’absence du play

Car, une nouvelle fois, des différents discours sur le Discovery Tour que j’ai vu passer récemment, beaucoup de possibilités dont on ne parle jamais :

– Les possibilités offertes par le vol avec l’aigle, pour le professeur ou pour les élèves.

– La vue subjective, qui, en terme d’immersion, et en possibilités de description une nouvelle fois, me semble très intéressante. Elle était déjà présente sur le premier Discovery Tour, à ceci près que dans le nouveau, on n’a pas besoin de laisser appuyer le bouton en continue. Cette vue permet de mieux se rendre compte de l’activité quotidienne.

Du coup, est-ce que l’on peut jouer dans le Discovery Tour : Si on concidère que jouer, c’est le fruit d’une attitude et non pas qu’un système de règle, on peut tout à fait faire autre chose que les visitudes guidées dans le Discovery Tour : menez l’expérience vous même et donnez la manette à quelqu’un, il y aurait fort à parier qu’il préfère gravir les pyramides d’Egypte à main nue plutôt que d’enchainer les audioguides.

Il y aurait également beaucoup à faire avec le Story Mode, permettant de construire ses propres quêtes mais qui ne me semblent pas encore intégré au Discovery Tour : Une quête pédagogique serait, par exemple, d’avoir un PNJ demandant au joueur de chercher un monument remarquable dans la cité en ne décrivant que sa fonction ou un élément de son architecture. Il y avait aussi surement quelque chose à faire autour des jeux Olympiques.

En gros, le play, l’activité ludique est délaissée, voire sacrifiée sur l’autel de l’Histoire, que ça soit dans le dispositif et dans les discours. Et tout ça, c’est normal puisque ce n’est pas vraiment le jeu qui intéresse mais le contenu historique. On est ici au coeur du processus de légitimation du jeu vidéo : pour qu’il soit accepté, il faut qu’il soit éducatif, qu’il soit un art, bref qu’il soit autre chose qu’un jeu, c’est aussi pour ça que sont employés des termes comme visites guidées, tourisme virtuel ou musée interactif.

Donc pour résumer, est-ce que l’on peut apprendre l’Histoire avec le Discovery Tour ? Oui. C’est un excellent outil pédagogique.
Par contre est-ce que l’on apprend en JOUANT ? Il semble évident que l’activité ludique a été sacrifiée au profit des apprentissages.

Par contre, le professeur peut, manette en main, ne pas suivre les visites guidées et les faire soi-même: Est-ce que ça serait pas l’enseignant qui remplacerait le Discovery Tour ?

Assassin’s Creed Discovery Tour: Tout est vrai ou presque, et rien n’est permis ou pas assez.