JVH #2 – Metal Gear Solid 3 : Mission Vertueuse

Comment Metal Gear Solid 3 nous fait jouer à la Guerre Froide?

Comment Metal Gear Solid 3 nous fait jouer à la Guerre Froide? Précédemment, nous avions vu que le jeu vidéo pouvait modifier à sa guise un contexte historique réel. Mais attention aux idées reçues : le jeu vidéo n’est pas un média décérébré où les faits historiques sont régulièrement modifiés, pastichés …
En témoigne la très riche ludothèque de simulation militaire où l’on peut entre autres diriger l’ensemble des tanks de la seconde guerre mondiale très précisément représenté.

Ces jeux sont de véritables encyclopédies en ce qui concerne l’armement militaire, et l’abondance de données qu’ils contiennent garantit une fidélité historique sans faille, mais est-ce bien suffisant pour se rapprocher de l’atmosphère d’une époque passée?

N’y a-t-il pas un juste milieu entre fiction historique et simulation rigoureuse ?

La série des Metal Gear Solid est un exemple typique de production vidéo ludiques où fiction et réalité s’entrecroisent. Elle trouve son origine sur MSX2 avec deux opus  sortis respectivement en 1987 et 1990 : Metal Gear et Metal Gear Solid 2 : Solid Snake.
Ces deux jeux inaugurent un nouveau genre de gameplay : le jeu d’infiltration. Plutôt que de supprimer en masse et sans trop réfléchir les ennemis à l’écran, le joueur doit les éviter, progresser avec précaution sinon le rapport de force lui serait défavorable et le gameover inévitable. Rester jusqu’alors plutôt dans l’ombre, la série explose aux yeux du grand public en 1998 avec la sortie de Metal Gear Solid sur Playstation. S’ensuit deux opus sur Playstation 2 : Metal Gear Solid 2 : Sons of Liberty en 2001, et Metal Gear Solid 3 : Snake Eater en 2004. La quadrilogie fut close en 2008 avec Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriots sur Playstation 3.
En plus de ce gameplay qui lui est propre, les Metal Gear proposent un certain réalisme tout en proposant des personnages décalés avec des pouvoirs hors du commun. En effet, à chaque épisode, Metal Gear Solid prend place dans un contexte géopolitique réaliste qui mêlent les diverses préoccupations sur les relations internationales, les modifications génétiques et, surtout, l’utilisation des armes nucléaires.
Si ce dernier thème revient avec insistance dans les scénarios, c’est en partie dû à la personnalité d’Hideo Kojima, le créateur de la série MGS. Né au japon en 1963, Kojima fait partie de ces générations traumatisées par les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Cette angoisse est d’ailleurs matérialisée dans chaque jeu par le Metal Gear, le but finale du joueur: une machine de guerre bipède capable d’atteindre, avec ses ogives nucléaires, n’importe quel endroit de la planète.

Deux choses m’ont poussé à étudier cette série sous l’angle historique. Tout d’abord, la lecture attentive de «  Metal Gear Solid : une œuvre culte d’Hideo Kojima », livre censé décortiqué tous les aspects de cette série . J’ai été fort déçu par cet ouvrage déjà en voyant que la moitié de ses pages étaient consacré à une retranscription du scénario, mais, surtout, en constatant que l’utilisation de l’histoire n’était absolument pas abordé dans un chapitre pourtant intitulé « décryptage »…

Deuxième chose, c’est la vidéo anniversaire que le site spécialisé Gamekult a consacré à cette série : 25 ans de Metal Gear en 25 caractéristiquesoù la partie Histoire se résume à ça : (…) une succession d’images d’archives utilisés dans les jeux sans autre explication.

Il faut donc agir et afin de ne pas m’éparpiller, j’ai choisi de me consacrer à un opus précis de cette série : Metal Gear Solid 3 : Snake Eater, et plus particulièrement sur le prologue du jeu intitulée Mission Vertueuse.

L’action se déroule donc en pleine guerre froide, période qui s’étend de l’après seconde guerre mondiale à 1991 où Etats-Unis et URSS s’opposent directement et indirectement sans jamais qu’un affrontement militaire n’éclate entre les deux surpuissances.
Le joueur contrôle un agent de la CIA, ayant pour nom de code Naked Snake. Dans un féroce contexte de course à l’armement, les camps américains et soviétiques se partagent un homme : Nikolaï Stepanovich Sokolov, un scientifique spécialisé dans l’armement nucléaire.
Au cours d’une opération secrète, la CIA parvient à ramener Sokolov à l’ouest, et c’est à ce moment là que le jeu rencontre la grande Histoire.
En 1962 éclate la crise des missiles de Cuba.
Pour résumer, l’URSS de Khrouchtchev décide de soutenir le régime communiste de Fidel Castro en mettant en place des têtes nucléaires tournées vers les États-Unis sur l’île de Cuba. D’âpres négociations entre dirigeants américains et soviétiques s’amorcent alors pour éviter que le monde ne sombre dans une guerre nucléaire. Le dénouement réel est le suivant : L’URSS accepte de retirer ses missiles à condition que les Etats Unis n’interviennent plus dans la politique cubaine et, surtout, qu’ils enlèvent les missiles nucléaires installés en Turquie. Kojima reprend bien ce contexte historique mais le modifie.
Dirigeant la mission, Le Major Zéro explique au joueur lors du briefing, à l’aide d’images d’archives, que la réelle revendication des russes était de récupérer Sokolov et que, finalement, les missiles en Turquie ne présentaient pas une menace réelle pour l’URSS.

Si le déroulement de la crise de Cuba est plutôt bien connue en général, les concessions américaines le sont beaucoup moins et sont souvent passées à la trappe, si on prend l’exemple, certes réducteur, des manuels scolaires.
Kojima profite donc de cette partie mal connue de l’histoire pour épaissir son scénario et le rendre plus crédible car enveloppé de faits réels.
Dans cette «  mission vertueuse » l’unique objectif de Snake ici est donc d’aller récupérer Sokolov en territoire soviétique pour le ramener à l’ouest.
Sokolov est donc la plaque angulaire de cette opération. Personnage fictif ce Nikolaï ? Pas totalement…
Sokolov est directement inspiré d’Andréï Sakharov, un physicien russe, et leurs parcours se ressemblent fortement. En effet, si Sokolov de MGS est retenu par le colonel du GRU, VOLGIN, pour concevoir le Shagohod, un tank à l’armement nucléaire, Sakharov fut, lui, obligé par Nikita Krouchtchev lui même de participer à la conception de la Tsar Bomba, la plus importante bombe atomique ayant jamais explosé. Prenant conscience du danger de cette course à l’armement, Sakharov amorça une prise de conscience à partir des années 60 et lutta jusqu’à la fin de sa vie contre la prolifération des armes nucléaires et plus généralement contre le système politique soviétique, combat pour lequel il reçut le prix nobel de la paix en 1975.
Remorts sur ces travaux passés que l’on retrouve à plusieurs reprises dans le personnage de Sokholov…

Cette mission aurait-elle été possible ? Le jeu vidéo trahit-il forcément le contexte historique qu’il utilise ?

La mission commence par un saut HALO (High Altitude Low Opening), un saut effectué en haute altitude, avec une ouverture du parachute en basse altitude. Le Major Zero nous affirme que c’est le premier de l’histoire. Malgré l’aspect assez moderne de la scène d’introduction, cela n’a rien d’anachronique. Les premiers sauts HALO ont en effet été testé au cours des années 1960 pour être véritablement employés en opération militaire lors de la guerre du Vietnam.
Cependant, parachuter un homme en pleine Union Soviétique est-ce bien une manière crédible d’espionner l’ennemi juré ? La Guerre Froide n’est-elle pas la période qui a vu naître Spoutnik, premier satellite, ou le projet Guerre des Étoiles ?
La mission vertueuse ressemble furieusement à une opération menée par la CIA dans les années 50 au cours de laquelle Mikaïl Kudriatsev, un émigré soviétique recruté par les services secrets américains, fut parachuté en Union Soviétique, mais fut rapidement cueilli par le trop bien informé KGB…

De nombreux agents de la CIA affirment que leur venue étaient déjà connus par les services du KGB, rendant leur capture quasi immédiate après leur atterrissage en terre soviétique. Cet aspect de l’espionnage et de ses agents doubles, est incarné par le personnage de The Boss, pivot central de Metal Gear Solid 3. Mentor du personnage contrôle par le joueur, elle trahit en effet le camp américain pour se ranger du côté soviétique…

Parlons maintenant du gameplay. Est-ce que la manière de contrôler Snake et les possibilités que nous offrent les développeurs correspondent au contexte historique ?
Le major met les choses au clair dés le début. [Video du briefing] Snake est donc tout seul dans cet univers hostile et s’il est repéré, le gouvernement américain ne pourrait reconnaître officiellement la mission, de peur de déclencher une guerre directe avec l’URSS.

On rappelle qu’on est dans un jeu d’infiltration, la moindre erreur du joueur met les soldats soviétiques en alerte.
Dés que l’ennemi repère Snake, celui-ci ne pense qu’à l’abattre. Pas de capture pour lui soutirer des informations ici, un bon agent de la CIA est un agent mort.
Si on reprend l’échec de Kudriavtsev, sa capture n’a pas signifié sa mort pour autant. Après avoir tout avoué au KGB, il a dû expliquer ses agissements à l’URSS toute entière au cours d’une parodie de conférence de presse. La suite de sa vie est d’ailleurs moins connu.

Quand on joue à un Metal Gear Solid, le choix de la difficulté est primordiale. Dans un jeu vidéo, augmenter la difficulté est synonyme d’ennemi plus résistant ou de dégats + élevés pour le héros. Ce n’est pas seulement ça dans MGS.
En niveau facile ou normal, si on est repéré, on peut en effet sortir de la zone et y revenir, l’alerte sera annulé. Or, en difficile, le niveau d’alerte est conservé entre les zones. ! Il devient alors compliqué voir impossible ainsi de se sortir des griffes des militaires soviétique et c’est le genre de situation qui se rapproche le plus de la réalité du combat.
L’équipement de Snake, et le gameplay qui va avec, s’adapte à son contexte. Dans les autres jeux de la série se déroulant au XXIème siècle, le héros pouvait utiliser le radar Soliton où la position des ennemis étaient indiquées ainsi que leur champ de vision, ce qui facilitait grandement la progression du joueur.
Rien de tout cela dans les années 60 ! Naked Snake doit se débrouiller sans ce gadget sophistiqué dans cette mission vertueuse, mais avec seulement un Sonar et un détecteur de mouvement beaucoup plus approximatif que le Soliton. Ajoutez à cela que chaque appareil électronique utilisé possède une batterie qui s’épuise avec l’utilisation.
Encore une fois, le niveau de difficulté a son importante ! En mode difficile, ces deux outils pour se repérer disparaisse complètement ! Ce qui contribue grandemment à l’immersion du joueur et à la sensation d’être perdue dans cette immense forêt asiatique.
La progression doit être plus prudente et il faut régulièrement passer en vue subjective pour vérifier la présence de soldat, ce qui rend le jeu peut être un peu laborieux, défaut corrigé dans la version Subsistance du jeu (JAQUETTE) où l’on peut contrôler la caméra à loisir.

En matière de gameplay, l’autre nouveauté de Metal Gear Solid 3 est la gestion de l’aspect survie et camouflage. Dans le menu start, le joueur peut gérer le camouflage de Snake pour s’adapter à l’environnement qui l’entoure. L’autre obligation est de nourrir le héros. En dessous de sa barre de vie, Snake possède une barre d’endurance qui diminue avec le temps, le gamer doit ainsi le nourrir avec les animaux qu’il trouvera dans la nature. En fonction des dégats reçus, on peut également soigner Snake à l’aide de divers objets récupérés au cours de l’aventure.
Cet notion de survie est particulièrement bien vu car elle épaissit le gameplay et les possibilités de jeu tout en rappellant le rôle des Smokejumpers. Cette unité d’élite des pompiers américains était parachutée dans les régions montagneuses pour lutter contre les incendies de forêts. Recevant un entraînement quasi militaire, ils pouvaient rester plusieurs jours dans ces régions pour surveiller un éventuel départ de feu et devaient donc maitriser les bases de la survie. Précision d’autant plus intéressante que la CIA a recruté plusieurs de ces smokejumpers pour former les résistants tibétains après la conquête chinoise.

Si l’équipement correspond globalement au contexte de guerre froide, l’armement aussi. Ne nous lançons pas dans un laborieux inventaire des différentes armes disponibles mais prenons un exemple intéressant celui de la pilule de mort simulée. Tout agent de la CIA en mission possédait en effet une pilule de cyanure afin de se donner la mort au cas où il tombait dans les mains ennemis.
Dans Metal Gear Solid 3, cet objet n’a pas les mêmes propriétés, elle est réutilisée pour enrichir le gameplay.  Cette pilule sert ici à tromper l’ennemi, ce qui est une réutilisation bien astucieuse d’un object servant à la base à tuer complètement un agent secret, Kojima allant même jusqu’à reproduire le véritable écran de Game Over du jeu.

Aussi décalé et caricatural qu’il puisse paraître, MGS3 colle plutôt bien avec l’univers de la Guerre Froide ce qui rend encore plus savoureux le scénario interne à la série Metal Gear Solid et ces personnages aux pouvoirs étonnants.

Alors bien sur il y aurait beaucoup à dire sur la suite de ce Metal Gear Solid 3, on pourrait parler du rôle d’Eva dont le comportement à la fois charmeur et ambiguë est pourtant révélateur de l’espionnage de l’époque , de l’animosité que se voue le GRU et le KGB, mais tout cela aura sûrement sa place dans une prochaine vidéo.