Call of Duty World War II

Analyse en plusieurs vidéos de Call Of Duty World War II.

Episode 1

Call Of Duty World War II commence par une introduction nous montrant les conséquences d’un conflit que l’on n’a même pas débuté. Les causes de la guerre ne sont pas expliquées : celle-ci semble débuter avec l’attaque allemande en France, laissant de côté la Pologne meurtrie. L’introduction échappe à toutes nuances et à toutes volontés pédagogiques pour laisser place à une opposition classique des forces du Bien contre celles du Mal.  Le jeu s’ouvre évidemment sur le débarquement de Normandie qui constitue une symbolique mémorielle évidente. Il aurait été plus compliqué de commencer par les déroutes américaines dans le pacifique.Reste que cette scène m’a laissé sans trop d’émotion. Le design global qu’il soit sonore ou graphique est évidemment impressionnant, le réalisme historique n’a pas l’air de faire défaut, même si, comme dans « Il faut sauver le soldat Ryan », les Alliés débarquent à marée haute, et non pas à Marée basse.
Cet exemple illustre parfaitement le concept de remédiation, expliqué dans le précédent JVH, les développeurs de Call of Duty se sont sûrement plus inspirés du cinéma que des livres d’Histoire.  La facilité de la progression m’a parfois dérangé :
Cependant, nous sommes au début d’un jeu vidéo : un medium qui répond à des logiques de progression de la courbe de difficulté au cours de l’aventure.
Mais du coup, historiquement, le débarquement a été quand même une des batailles les plus meurtrières et difficiles pour les Américains, or tout le dispositif du jeu tend à montrer que cette bataille a été relativement aisée à remporter.
Ce qui m’a anesthésié, c’était autre chose: Le débarquement, je l’avais déjà fait.

Alors peut être pas comme Hervé Morin, certes, mais j’ai déjà fait 1000 fois cette scène dans un jeu vidéo.
Je l’ai fait dans Medal Of Honor Débarquement Allié en 2002
Je l’ai fait dans Day Of Defeat en 2003
Je l’ai fait déjà dans Call of Duty 2 en 2005
Je l’ai vu dans le Soldat Ryan dans, Band of Brothers ou dans Le Jour le Plus Long, et maintenant je l’enseigne.
Je savais donc que j’allais sortir de l’embarcation par le côté, je savais que j’allais devoir faire sauter une digue, j’imaginais bien qu’un officier aller me prendre par la main lors de mes premiers pas sur la plage, je me doutais qu’il faudrait ensuite nettoyer les bunkers un par un ou que j’allais aider un mes frères d’armes…Ce que je veux dire par là, c’est que l’on analyse les jeux vidéo à travers notre propre culture, y compris vidéoludique, nos ressentis sur une œuvre ou sur un gameplay sont en effet dépendants de nos précédentes expériences.
L’autre problème d’un jeu vidéo historique, c’est qu’irrémédiablement la fin de l’Histoire nous est connu. Et la fin du jeu avec.

Episode 2

« Yen a des biens » (phrase prononcé par un soldat américain lors d’une scène cinématique)

Alors il y aurait deux manières de comprendre cette phrase : certains l’ont vu comme une façon de relativiser le nazisme.
Cependant, vu que le soldat énumère les grandes figures de la culture allemande, ça met plutôt en avant que le nazisme est survenu dans un pays très cultivé, ce qui est un élément d’analyse primordial pour comprendre ce mouvement politique.

D’ailleurs ce passage à dos de tank résume bien la narration environnementale d’un Call OF parce qu’on est généralement placé sur un rail et notre liberté de mouvement est très restreinte.
A un moment on passe à côté de civils français pendus sans nous expliquer la raison d’un tel acte. Plus tard, nous devons secourir des civils allemands, après en avoir été vivement déconseillé par notre supérieur, mais notre interaction avec eux est très limité, ils servent juste à mettre en avant le courage et la philanthropie du héros, ce qui et souligné à d’autres moments du jeu où l’on peut épargner certains soldats allemands.
On touche des sujets intéressants mais, noyer par l’action, on passe un peu à coté.
Il faut préciser qu’il n’y a rien vraiment de prévu pour : la narration environnementale est globalement pauvre. Aucune discussion n’est possible avec vos frères d’armes avant de se lancer au combat, rien ne se déclenche, la vie des soldats hors combats n’est donc quasiment pas évoquée.

Qu’en est-il de la croix gammée ? Call Of Duty semble avoir trouvé une position intermédiaire : elle est bien présente sur les bâtiments et autres drapeaux flottant dans le décor,mais pas sur les soldats, à laquelle on a préféré la traditionnelle croix de fer.
D’ailleurs, contrairement à ce que l’on peut croire, la représentation de la croix gammée n’est pas interdite en Allemagne, et pour ça, je vous recommande d’aller voir une vidéo de la chaîne Censored Gaming, qui l’explique très bien : elle est même autorisée dans les œuvres artistiques mais, suite à la polémique que Wolfenstein 3D avait déclenché en 1994 , les développeurs de jeu vidéo préfèrent être prudent en n’emmenant pas un sujet si sulfureux devant les tribunaux. Ainsi, la législation allemande ne considère pas le jeu vidéo comme un art, mais ça, c’est un autre débat, qui plus est un peu sans fin.
Reste que le choix des développeurs ici est quand même révélateur : L’humain ne peut être nazi, l’environnement, les éléments passifs, oui, mais le nazisme et son idéologie sont résumée à un décor qui ne touchent pas les hommes.

Je précise que j’ai joué qu’à la version française du jeu et que l’allemande ne comporte donc aucune croix gammée, et et je n’ai fait que le mode Histoire, pour le mode multi-joueur, il est évidemment qu’incarner un soldat avec une swastika poserait de nombreux problèmes.
Je terminerai sur la mission, où l’armée américaine libère tout simplement Paris aidée par la Résistance qui, une nouvelle fois dans un jeu vidéo, représentée à travers un personnage féminin, ce qui permet de rappeler l’importance des femmes dans la Résistance. Notre mission se déroule le 25 août 1944, et notre objectif est de prendre la préfecture de Police.
La réécriture de l’Histoire est évidemment flagrante ici, la libération de la capitale étant avant tout l’oeuvre d’un soulèvement populaire et de l’arrivée de l’armée française, qui arrive justement le 25 aout. Or, là on nous dit que l’armée américaine est arrivée avant la division du général Leclerc, et qu’elle a fait le gros du travail.
Alors attention, il ne faut pas tombé dans le récit inverse : même si Paris n’était pas vraiment un objectif premier pour les américains, c’est sous leur autorisation que les français rentrent en premier dans Paris, et la division de Leclerc est suivie de prêt par des troupes alliées qui assurent leur couverture.
Si on comprend qu’il était difficilement concevable qu’un jeu vidéo américain fasse l’impasse sur une prestigieuse mission au cœur de Paris, le joueur néophyte en Histoire reste quand même avec l’impression que lui et ses collègues américains ont libéré la ville, sentiment d’autant plus puissant qu’il passe par le gameplay, et ça, c’est très contestable, même si, dans un sens, le jeu nous rappelle la présence de l’armée américaine dans le processus global de libération de la ville.

Episode 3

Zussman, l’ami du héros d’origine juive , est capturée par l’armée allemande lors de la bataille des Ardennes puis est conduit dans un train à bestiau direction le camp de concentration de Berga par le commandant EDVINE Metz.
Et pour le coup, l’orientation du scénario est plutôt intéressante parce que, le camp de concentration de Berga a bien existé, il a bien été dirigé par un certain Edvin Metz, et en effet il a accueilli des prisonniers américains suite à la bataille des Ardennes.

Call Of Duty WWII se conclue avec la découverte de ce camp qui s’apparente en réalité à une opération de sauvetage, notre héros voulant à tout prix sauver son frère d’arme.

Une fois dans le camp, le gameplay est adapté : on ne peut ni tirer, ni courir, on nous pousse ainsi à contempler, du coup, je pense qu’on n’est plus vraiment dans la narration environnementale car tout le gameplay y est conditionné et explicite.
Les flashs imposés avec des photos, soutenus par le récit du héros ne laissent que peu de place à l’exploration et à la liberté du joueur
De plus il n’y a justement peu de chose à regarder, les décors ou les objets ne sont pas interactifs comme ce qui semble être un journal intime de prisonnier, que l’on ne peut absolument pas lire.
Le camp est ainsi très aseptisé : on ne voit que deux cadavres dans les baraquements, l’un est peu visible dans l’obscurité et l’autre n’a pas l’apparence aussi décharnée qu’une victime des camps de concentration aurait pû avoir. Les deux prisonniers suivants ont été fusillés et ne sont donc pas directement morts à cause des conditions de vie du camp.
Nous retrouvons Zussman à l’extérieur du camp, dans un contexte rappelant les marches de la mort quand les nazis fuyaient les camps avec leurs prisonniers, et on abat le commandant Erwin Metz.
C’est notre dernière action du jeu et s’ensuit un écran noir, qui nous empêche de regarder pleinement l’ampleur du massacre, comme si, encore une fois, on posait un voile pudique sur l’horreur.
Force est de reconnaître que Band of brothers, une des grandes sources d’inspirations des développeurs prend beaucoup moins de pincettes dans son 9ème épisode en nous montrant clairement les victimes.

Ce Call Of Duty dit donc plutôt vrai en traitant le sort de ces soldats américains, dont on parle assez peu mais est ce qu’on nous parle vraiment de la Shoah, comme certains médias semblent le penser ?
La réalité de la shoah, ce n’est pas les camps de concentration, qui étaient avant tout des lieux de travaux forcés pour tous ceux qui étaient considérés comme des déviants par les nazis.
Si les alliés ont découvert des camps de concentration à l’ouest avec beaucoup de prisonniers juifs, c’est parce que les centres de mise à mort de Pologne avaient été abandonnés par les nazis suite à l’avancée de l’armée rouge et les prisonniers survivants ont été déplacés dans des camps de concentration à l’ouest.
Et la réalité de la Shoah, c’est justement ces centres de Treblinka, Sobibor, Maïdanek, dans lesquels Juifs et Tziganes étaient assassinés le jour même de leur arrivée.

En plus de nos représentations classiques sur ce phénomène, la séquence est suffisamment flou pour que l’on fasse la confusion avec la Shoah.
Pourquoi flou ? On parle d’un soldat juif, parce qu’on nous montre un camp, parce qu’on rentre dans les baraques avec lit en bois, parce qu’on nous montre une exécution par balles, bref toute l’iconographie du génocide est sollicitée, à part les chambres à gaz.
Sauf que dans toutes cette séquence :
– On sauve le soldat, pas le civil.
– On sauve l’américain, pas le juif.
Zussman n’est pas conduit au camp parce qu’il est juif, on nous montre d’ailleurs une cinématique qu’il cache sa plaque où est indiqué sa religion, mais tout simplement comme un prisonnier américain.
Pire, à travers le héros, on laisse croire que les américains ont vraiment tenté de délivrer des camps de concentration, or ces derniers n’ont jamais été des objectifs de guerre.
Le dialogue final est assez gênant, le rescapé des camps évoque brièvement ses malheurs simplement pour mettre en valeur le sacrifice de notre héros, qui a préféré venir le sauver plutôt que de rentrer au pays.

Alors évidemment que ce Call of Duty ne traite pas de la totalité du conflit, comment aurait-t-il pu le faire d’ailleurs vu qu’on suit une escouade américaine ? Alors on va me dire que le jeu oublie l’URSS et laisse penser que les USA sont les uniques vainqueurs du nazisme, ok c’est problématique mais est-ce qu’il y a seulement les jeux vidéo qui font cette simplification ? Non, que ça soit dans les jeux vidéo ou dans le cinéma, c’est le soft power américain qui s’exprime ici pleinement.
D’ailleurs, j’ai hésité à utiliser la séquence du débarquement dans mes cours, mais ces séries de FPS, que ça soit Call Of Duty, Battlefield ou Medal Of Honor, mettent tellement en avant la figure héroïque du soldat, et donc de la guerre, que transmettre, même indirectement, ses valeurs à mes élèves m’a semblé quand même assez problématique.

Tout ça me pousse encore une fois à dire qu’un jeu vidéo ne peut être un livre d’histoire, et que si on persiste à se tromper dans l’étude de ce medium, on ne sera qu’irrémédiablement déçu, il me semble bien plus intéressant de se demander pourquoi les développeurs font ou tel choix, plutôt que de leur taper sur les doigts, et de juger leur jeu à l’aune de leur utilisation du passé, en mettant de côté l’aspect ludique.
Mais si vous voulez vraiment un jeu qui joue avec l’Histoire et qui traite du nazisme de manière brute et subtile à la fois, c’est vers Wolfenstein que vous devez vous tourner.