« Apprendre l’histoire avec les jeux vidéo » ?

Ce billet constitue un rapide exercice de réflexion autour de l’adage « Apprendre l’histoire avec les jeux vidéo » ayant fait l’objet d’un thread sur Twitter.


Peut-on prendre quelques instants pour s’intéresser à l’expression «Apprendre l’histoire avec les jeux vidéo»? ⤵️

Formulé ainsi, on sous-entend évidemment que l’apprentissage se fait en jouant. On ne saurait dire que l’on «apprend l’histoire avec le cinéma» en fermant les yeux devant la toile.

On part ainsi du principe que « jouer est éducatif », ce qui ne repose sur aucune preuve scientifique claire (Brougère, 2005), encore moins dans l’optique des savoirs scolaires. Mais soit, vu qu’il existe des « jeux qui permettent d’apprendre», regardons certains dispositifs proposés :

Certains jeux vidéo grand public sont considérés ainsi, mais leurs mécaniques d’apprentissages reposent souvent sur des procédés anciens, comme avec l’intégration de fiches pédagogiques.

Des jeux de grande stratégie, peuvent entraîner des apprentissages mais qui sont, selon certains résultats, factuels, liés à un nombre d’heures de pratique élevé, et investis par des passionnés d’histoire. Je vous recommande l’article de Clément Dussarps sur Crusader Kings II, résumé en vidéo ici. On peut donc éventuellement apprendre par un jeu, mais c’est spécifique.

Crusader Kings II (Paradox Interactive, 2012)

« Oui mais ça donne envie d’ouvrir des livres sur le sujet! »

C’est évidemment un impact que l’on peut juger positif mais on sort du jeu. On parle ainsi d’apprentissages collatéraux (Berry, 2013) ou tangentiels (Mozelius et al, 2017). Je passe sur le caractère socialement situé de cette démarche intellectuelle. Une oeuvre de fiction peut évidemment pousser le lecteur, le spectateur, le joueur à aller en apprendre plus sur l’univers de celle-ci. Cet effet n’est donc pas propre au jeu.

Quand on vous dit que « jouer est éducatif », vous devez toujours observer dans quelle situation et dans quel contexte le jeu est inséré. Souvent, c’est : en médiathèque, en centre de loisirs, avec un pair guidant la pratique ou évidemment à l’école.

Dans un cadre explicitement éducatif, le plus souvent, le jeu vidéo d’Histoire est transformé par l’enseignant: peu ou pas d’activité ludique, du visionnage de screenshot ou de scènes cinématiques. Une transposition didactique qui semble évidente: il faut rendre visible les apprentissages que rendrait difficile à cerner l’excitation ludique.

Rappel de ma séquence pédagogique avec Assassin’s Creed en 5e.

Si l’université de Montreal titre son enquête « Apprendre l’Histoire avec Assassin’s Creed? », la lecture montre bien que l’apprentissage se fait aux sacrifices du jeu. Les séances évoquées se composent de visionnages de séquences vidéos. Avec pareilles interventions de l’enseignant et de l’école, il est quand même dommage d’essentialiser l’ensemble en disant que « l’on apprend avec les jeux vidéo« .

Le jeu vidéo est ainsi déconnecté de sa pratique, ce qui peut poser problème dans l’optique d’une éducation aux médias et à l’information, qui s’entend comme une formation aux usages du numérique hors l’école.
Je développe la réflexion dans le billet suivant:

En s’intéressant à la situation, on constate que le jeu subit ainsi une mise en forme éducative. Si le jeu était éducatif par essence, est-ce qu’on aurait besoin de « jeux éducatifs » ?

En revanche, cela serait une erreur de ne considérer que l’école et l’enseignant condamment irrémédiablement toute activité ludique. Des observations menées dans le cadre de mes recherches m’ont emmené à assister à des séances de Crusader Kings II qui feront l’objet de publications futures.

Pour conclure

« Apprendre l’histoire avec les jeux vidéo » est une expression qui masque la mise en forme éducative du jeu et nuit à l’étude des liens entre jeu et apprentissages, tout en servant les intérêts de celles et ceux qui l’utilisent.

Originally tweeted by Romain Vincent (@RomainHG) on 31 October 2020.