Wolfenstein II The New Colossus en plusieurs vidéos.
Episode 1
S’il y a bien un jeu qui m’a marqué ces dernières années par son utilisation du passé, c’est bien Wolfenstein The New Order : le jeu de MachineGames plaçait le joueur dans un univers uchronique où les nazis avaient remporté la seconde guerre mondiale et comportait une intéressante mission dans un camp de concentration que j’avais eu le plaisir de décortiquer dans le 5ème JVH.
Etant afféré actuellement à l’écriture du 7ème épisode qui me prend, comme d’habitude, beaucoup de temps, ça j’avais envie de me lancer dans une série de vidéo courtes, réalisée à chaud après chaque partie sur ce nouvel épisode de Wolfenstein, afin d’essayer un autre type d’écriture qui pourrait être une sorte de travail préparatoire à un futur chronique traitant de l’uchronie dans les jeux vidéo, car je pense de plus en plus que la meilleure manière de jouer avec le passé, ce n’est pas de tenter de le reproduire mais de le déformer.
The New Colossus reprend en 1961 à la fin de The New Order où notre héros Blaskowitz est dans un sale état A deux doigts de passer de l’autre côté, il est pris d’hallucinations qui nous nous plonge pendant son enfance en 1919 : son père reproche à sa mère les fréquentations de son fils qui ne serait pas à son goût.
Le père frappe ensuite sa femme, tout en pestant sur son origine :
En plus d’évoquer le contexte américain et les discriminations des populations afro-américaines, cet échange nous rappelle que l’antisémitisme est loin de n’exister qu’en Allemagne à cette époque, et d’ailleurs, il me semble bien que le mot « juif » n’est jamais prononcé au cours du premier épisode, et qu’il fallait tout un travail, de légères, déductions pour arriver à cerner l’origine du héros.
Après avoir repris ces esprits, Blaskowitz peut se remettre au travail en nettoyant le sous-marin que la Résistance avait pris à la fin du 1, de toute présence nazi.
Sauf que, bien amoché, la première partie du jeu se fait en mitraillant les soldats SS à partir de notre fauteuil roulant :, mais rappelons que l’Allemagne nazie avait lancé en 1940 un programme d’extermination des handicapés physiques et mentaux : abattre moultes nazis en étant soi-même handicapé est donc assez savoureux.
alors je sais pas si la référence est volontaire, et je vais souvent dire ça à l’avenir, mais il est évident que si je tique sur ce genre d’éléments, ce n’est pas vraiment parce que le jeu veut me le faire penser explicitement, mais parce qu’étant enseignant d’Histoire-géo, je suis peut être naturellement conduit à faire ce type d’analyse.
Apprendre avec les jeux vidéo, c’est peut être avant tout penser les jeux vidéo à travers sa propre culture.
Dans la même idée, les nazis estimaient que les juifs étaient une menace pour l’existence de la race allemande et que c’était pour cette raison qu’ils devaient les exterminer : certains comportement des soldats, effrayés par la réputation meurtrière de Blaskowitz nous le montre, ainsi que certains documents rappellent cette paranoïa nazie d’être la cible de différentes nations, et que, finalement, ils n’agissent violemment que par instinct de survie.
Du coup, ce début de jeu y allait plutôt à fond en sous-entendu où en vocabulaire direct de l’époque, mais la fin de la 2ème mission m’a un peu déçu : on en vient en effet à s’échapper avec Sigrun, une nazie abandonnée par sa hiérarchie. Nos coéquipiers s’étonnent de sa présence et elle se défend en disant que si elle était bien nazie avant, elle ne l’était à présent plus du tout, comme si tout cela n’était qu’une question de camp et qu’il suffisant d’en changer, peu importe l’idéologie qu’il y a derrière.
Episode 2
Les temps morts entre les deux missions étaient un élément de la narration du premier que j’avais énormément apprécié.
The New Colossus reprend l’idée et nous offre des instants quasi-contemplatifs dans la base de notre groupe de résistants, nous permettant de mieux connaître nos compagnons ainsi que l’univers uchronique du jeu : de nombreuses affiches, coupures de journaux nous rappelle le contexte.
Volfenstein n’est donc pas que le jeu de bourrin que je me figurais il y a quelques années.
Le plan est d’entrer en contact avec la Résistance américaine, pour cela on fait cap sur une New York annihilé quelques années plus tôt par une bombe nucléaire nazi.
Blaskowitz fait mention de cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants au début de la mission, sauf qu’à bien y regarder, on ne trouve aucun corps d’enfants, ce qui montre que c’est encore un sujet délicat à montrer à l’écran.
La narration environnementale se développe aussi en observant les ruines de New-York, et là je me suis posé plusieurs questions :
– Même si ce n’est pas leur genre de jeu préféré, que peuvent penser des joueurs japonais en observant les conséquences d’un événement historique qui s’est pourtant déroulé sur leur sol ?
– De l’autre côté du pacifique, pour les joueurs américains, voir ces scènes de destruction pourraient rappeler le 11 septembre 2001.
Construire l’environnement comme porteur de sens peut aider à suppléer un gameplay qui peine à le faire : c’est ce que je me suis dit pendant les phases de combat : futuriser les nazis, en les mécanisant, ou leur mettant une autre tenue, jaune ici car anti-radioactives, tend peut-être à rompre ce sentiment de combattre cette idéologie. Seul les commandants d’escouades ressemblent aux nazis « historiques »
A la fin de la mission, on rencontre un groupe de résistants américains, l’échange avec Blaskowitz mèle féminisme, KluKluxKlan, la Révolution américaine et au nazisme :
Difficile de ne pas y voir un clin d’oeil appuyé à l’Amérique actuelle.
Alors je me demande maintenant si Wolfenstein va restée une œuvre qui s’adresse à différents publics, ou chacun peut y trouver une signification particulière, ou va-t-elle centrer son message politique, s’il y en a un, sur un point en particulier
La suite nous le dira peut être mais si vous avez des questions ou des suggestions sur des points à aborder pendant la suite du jeu, n’hésitez pas à me le dire en commentaire, j’essaierai d’y répondre pendant les vidéos suivantes.
Episode 3
Ce ne sont pas des monstres mais des humains
Wolfenstein comporte quelques petites phrases dans ce genre visant à rappeler que le nazisme n’est pas une anomalie inexplicable de l’Histoire, et je dois vous avouer déjà que ça fait du bien d’entendre un peu de nuance quand il s’agit d’aborder le nazisme, et qu’en plus on peut l’entendre dans un jeu vidéo, ce qui change un peu des aneries que l’on voit passer dans le débat public à ce sujet.
Alors encore une fois, ces punchlines ne touchent sûrement que des rares personnes, et nulle doute que le gameplay sans grande finesse du jeu efface cette nuance qui devient du coup toute relative et vu le genre FPS tend à donner toute puissance au joueur qui débite du nazi à tour de bras sans grande difficulté. On peut se demander si le monstre surhumain ne serait pas le joueur lui-même ?
La suite du jeu nous conduit dans la ville de Roswelll, avec l’objectif de placer une bombe nucléaire dans son sous-sol qui abriterait des expérimentations scientifiques ainsi que l’Oberkommando, l’état major de l’armée allemande soumis au Führer.
La première partie de la mission nous fait traverser tranquillement une partie de la ville pour aller rencontrer un membre de la Résistance américaine,. C’est notre premier contact avec l’Amérique nazifiée et l’impression que nous laisse cette petite balade c’est que le nazisme… ça a l’air cool.
Ça a l’air cool parce qu’il fait beau, il y a de la nourriture à foison, les rues sont nikels, on fait la queue pour aller au cinéma, l’ambiance est festive, les nazis sirotent des Milkshakes à la fraise et chaque opinion a l’air de pouvoir s’exprimer dans la rue bref, l’ordre règne, la guerre et ses privations sont bien loin.
Alors on est en face de ce que je vais appeler une narration environnementale propagandiste, la scène est totalement dépourvu de gameplay, ce qui incite explicitement le joueur à contempler les multiples scénettes qui jonchent son parcours, tandis que les couleurs clairs et l’atmosphère positive contribue à fair e passer le sentiment expliqué plus tôt.
Alors le joueur ne peut être dupe bien longtemps, tellement cette composition tranche avec le reste du jeu, et surtout, parce que le chapitre suivant nous plonge dans les sous-sols de la ville, le contraste graphique est évidemment frappant et intentionnel.
On arrive ensuite dans la base sous-terraine, et quand on croise les mythologies de Roswell et du nazisme on obtient évidemment… des soucoupes volantes nazies. Rien de bien étonnant pour les amateurs de film de science-fiction.
Cette fois on est pas là pour contempler, donc après avoir tout exploser, Blaskowitz se dit que ça serait peut être le bon moment pour aller faire une halte dans la demeure familiale.
Et là, on se retrouve en face d’un intéressant exercice de sauts dans le temps :
En arrière quand Blasko se remémore ses souvenirs d’enfants et son père brutal
En avant dans le présent du joueur, lorsqu’on fouille la maison et que l’on tombe sur des articles de journaux sur les Présidentielles américaines :
A nouveau en arrière dans le passé historique, quand on tombe sur son père nous expliquant froidement qu’il a accepté de donner sa femme juive aux nazis
Et pour finir, on ne peut s’empêcher de penser aux Etats-Unis de 2017, tellement ce tableau nous montre l’Amérique rurale que l’on accuse souvent d’avoir permis à Trump d’accéder au pouvoir.
Si ce chapitre est très chargé émotionnellement, on reste quand même avec la mention, par le père, de l’existence de camp rassemblant les juifs, les noirs et les homosexuels…
La suite du jeu nous y conduira peut être…
Episode 4
Pas question de camp pour le moment, mais plutôt d’un ghetto que l’on doit infiltrer pour entrer en contact avec d’autres résistants.
Historiquement, les ghettos créés par les nazis en Pologne étaient uniquement destinés aux populations juives, mais dans Wolfenstein, le critère racial est totalement effacé, ces quartiers fermés enferment simplement tous ceux que les nazis désignent comme « dissidents », juifs, afro-américains, homosexuels, terroristes, bref, tout est mélangé sans grand discernements.
Pourtant, la puissance évocatrice du design global est bien là, : après avoir contourné les hauts murs entourant le ghetto, le joueur est témoin d’une répression massive menée les forces nazies, bien décidé à exterminer toutes populations se trouvant encore dans cette zone.
Ainsi, on parcourt un ghetto en flamme, jonché de cadavres, on traverse des appartements vidés de toutes présences, et cette composition me rappelle immédiatement la répression de la révolte des juifs du ghetto de Varsovie en 1943.
Ce léger cynisme est renforcé par la découverte de documents nazis révélant leur macabre comptabilité : la présence d’enfants parmi les victimes révèle la nature génocidaire de leur répression, et leur origine sociale ou raciale n’est pas précisée.
Wolfenstein garde l’architecture global de l’événement mais le vide de sa symbolique idéologique, et cette réflexion structure littéralement notre parcours dans le jeu, et peut être dans les jeux vidéo en général d’ailleurs.
Plus loin, notre périple nous emmène sur Vénus : dans une extension de la théorie de l’espace vital, les nazis ont lancé une campagne de colonisation spatiale, où seuls les Allemands de sang pur seraient évidemment autorisés à y vivre.
On est sur Vénus pour participer à un casting : les nazis cherchent en effet à réaliser un film de propagande sur Blaskowitz qu’ils pensent mort. Quoi de mieux alors que d’envoyer l’original. :
On est accompagné par le clone vidéoludique de Leni Riefenstalt, une réalisatrice de film de propagande pour le parti nazi, et le casting est dirigé par… Adolf Hitler en personne, dans une séquence qui devient évidemment marquante.
Avec 20 ans de + au compteur, les traits psychologiques connus d’Hitler sont accentués comme ses tremblements ou sa paranoïa. Mais ce qui frappe le +, c’est son état de délabrement avancé, Hitler est sur la fin de sa vie, il apparaît comme gâteux, croulant, et même complètement grotesque. La prise de distance avec la réalité est claire et vise ainsi à ne montrer aucune complaisance avec le régime d’ailleurs, tous les leaders du reich sont présentés comme des cas psy
Hitler tient donc à peine debout, et c’est dans une posture quasi-fétale qu’il décide d’assister à la suite du casting : les candidats doivent montrer leur capacité de combat face à un soldat nazi.
Quand c’est à notre tour, le jeu nous propose, optionnellement, de tuer Hitler en l’écrasant avec notre talon, tel un cafard… Laissons cette symbolique de côté puisque cette action entraîne irrémédiablement le game over : on ne touche pas au fuhrer apparemment, mais il est amusant que les développeurs aient anticipé les pulsions du joueur.
Suivons les règles, et tournons la scène demandée : on exécute ainsi un soldat au corps à corps, de la même manière qu’on le fait pendant tout le jeu et… la violence du joueur plaît à Hitler, et je dois vous avouer que c’est assez perturbant de provoquer sa satisfaction, et ça nous interroge forcément sur la violence contenue dans un FPS, voire dans un jeu vidéo.
Si j’ai essayé d’expliquer ce que Wolfenstein montrait à l’écran, il est également important de parler de ce qu’une œuvre ne montre pas :
Hitler fait mention d’un camp d’extermination dans lequel la mère de Blaskowitz aurait été assassinée, et on parle bien d’un centre de mise à mort ici, c’est à dire d’un lieu dédié uniquement à l’assassinat des juifs et des tziganes, une population d’ailleurs totalement ignoré, contrairement au camp de concentration, qui servait à rééduquer les déviants de la société par le travail forcé (communiste, homosexuel et j’en passe) par le travail forcé.
Sauf que ce centre de mise à mort n’est pas présent dans le jeu, il est d’ailleurs assez curieux que Blaskowitz ne réagisse même pas à l’évocation de la mort de sa mère : depuis le début du jeu, les parallèles avec son enfance sont nombreux, mais il s’étiole au fil de l’aventure, comme on vient de le voir, comme si, au fil de son développement, Wolfenstein souhaita plus collé avec l’actualité politique américaine, ce qui a peut être modifié son scénario en cours de production.
D’ailleurs, la fin du jeu l’exprime bien : nous abattons en effet une dignitaire nazie au cours d’un show typiquement américain : en guise de séquence finale, les personnages s’adressent à la caméra en insitant les spectateurs à se rebeller contre l’occupant : est-ce qu’ils parlent aux joueurs ? Au peuple américain du jeu ou au peuple américain réel ? Se rebellent-ils uniquement contre le nazisme ou contre l’Amérique de Trump et ses mouvements d’extrême droite de plus en plus visibles ?
Bref, vous l’aurez compris le message est volontairement ambiguë, la dystopie permet d’utiliser le nazisme pour évoquer par instant la période actuelle, un procédé courant dans la littérature qui, me semble, se lâche beaucoup plus que le jeu vidéo.
On peut en effet noter quelques pointes de prudences : si on peut trancher des membres du Klu Klux Klan, c’est uniquement dans les missions optionnelles que peut être peu de joueur feront, le scénario de base se limitant aux nazis comme ennemis.
C’est peut être là que l’on pourrait formuler une petite réserve : car en faisant cohabiter KKK et nazis, ils seraient tentant de mettre les discriminations raciales aux USA et la politique génocidaire nazie sur les mêmes plans alors qu’ils sont le produit de deux processus historiques différents.
Les développeurs alternent entre ellipse et évocation plus fine, comme ces quelques passages avec un rat, référence utilisé par les nazis pour qualifier toutes populations vouant à être éliminé comme un simple microbe. Au cours d’une mini-scène, Blasko doit rassurer un coéquipier en nettoyant une salle de sous-marin de la présence d’un rat, chose qu’il fait sans le tuer, avec un message évocateur : « c’est pas de ta faute »…
Ce n’est pas de ta faute si tu es né ici ou ailleurs, passage qui fait écho avec son enfance où son amie l’implore de sauver un rat, et lui apprend ainsi l’empathie.
Même si l’évocation de l’idéologie nazie passe peut-être plus par la narration environnementale que par les interactions avec les êtres humains, au moins Wolfenstein envoie un message clair : contrairement à d’autres studios prenant leurs jambes à leur cou à l’ombre de la moindre polémique, suivez mon regard.
Bref, comme toute œuvre culturelle, le jeu vidéo nous en dit sûrement plus sur son époque de production, que sur la période à laquelle il fait référence.
Il y a sûrement encore beaucoup à dire sur ce Wolfenstein, notamment en étudiant les réactions que le jeu provoque dans la sphère publique, mais tout ça aura sûrement sa place dans une prochaine chronique, sur ce, je vous remercie d’avance pour vos réactions, et je vous dis à la prochaine.