Première chronique sur le passé dans les jeux vidéo, datant de 2012: Sniper Elite V2 – Kill Hitler Mission.
On parle souvent d’Histoire du jeu vidéo, d’une chronologie plus ou moins poussée des différentes sorties de consoles, de jeux, d’un catalogue peu problématisé des innovations technologiques, certains même s’autoproclament en être des spécialistes, des experts.
Or, renversons cette problématique. Quel rapport le jeu video entretient-il avec l’Histoire ?
Le but de cette émission est d’analyser l’utilisation de faits historiques dans le jeu vidéo, tout comme d’autres l’ont fait pour le cinéma. Je pense bien sur ici à Marc Ferro et son ouvrage célèbre «Cinéma et Histoire ».
Nous procéderons en deux temps. Tout d’abord, nous verrons ce que nous montre cette œuvre sur la période historique concernée, puis, ce que dit l’Histoire, les études historiques.
En gros, quel est l’écart entre le jeu vidéo et l’événement historique qu’il utilise ?
Le jeu vidéo a souvent proposé de revivre des grands événements historiques, comme les grandes batailles militaires (Débarquement de Normandie, Stalingrad, Pearl Harbor…) mais pas seulement!, Et c’est l’une des forces du jeu vidéo, c’est de pouvoir offrir la possibilité au joueur de FAIRE l’histoire ou plutôt de la refaire, de la réécrire.
C’est ce qu’offre le jeu Sniper Elite V2 sortie en mars 2012.
Sniper Elite V2 prend place à Berlin en 1945, alors que les soviétiques s’apprêtent à prendre le contrôle de la ville. Staline ne compte pas seulement finir la guerre, il veut également la technologie allemande.
Ce que supportent mal les Etats-Unis. S’engage alors une nouvelle bataille, celle de la récupération des cerveaux, prélude à la Guerre Froide. Le scénario fait référence, sans le nommer, à l’opération Paper Plot.
Le joueur contrôle Karl Fairburne, un militaire américain envoyé derrière les lignes ennemies et dont le but est d’empêcher à tout prix les soviétiques de mettre la main sur la technologie allemande comme les missiles allemands V2, ou capturer et emmener aux Etats Unis des scientifiques allemands.
Le scénario du jeu est quasi-absent et les missions s’enchaînent sans véritablement de lien entre elle. L’une des missions de ce jeu demande au joueur d’assassiner Adolf Hitler pour mettre fin à la seconde guerre mondiale, car, je cite, « une balle peut changer l’histoire ».
La mission « Kill The Fuhrer » est à part, dans la mesure où c’est un DLC, c’est à dire une mission supplémentaire à acheter . Le contexte précis est tout aussi flou.
Sans nous préciser la date, on nous apprend qu’Hitler doit quitter son Nid d’Aigle dans les Alpes, pour retourner à Berlin. Son trajet aura pour escale une station de train proche de Salzsburg, où, ce n’est pas préciser mais on peut le supposer, Hitler monta dans le Fuhrersonderzug, le train spécial du Fuhrer.C’est en ce lieu qu’on nous ordonne de l’abattre.
Après s’être infiltré dans la gare, le joueur-soldat doit gagner un poste de tir suffisamment élevé pour mener à bien sa mission. On laissera de côté l’absence de réalisme de cette séquence, le joueur devant abattre une quarantaine de soldat allemands pour triompher.
Les développeurs mettent ici le joueur en position de véritable acteur de l’histoire.
L’idée sous-jacente ici est de mettre fin à la seconde guerre mondiale en anéantissant celui qu’on estime être la pierre angulaire du conflit. Cependant, est-ce aussi simple ? Abattre un seul homme aurait-il pu mettre fin à un conflit mondial ?
Tout d’abord, attention aux termes. Dire que la mort d’Hitler mettrait fin à la 2nd guerre mondiale est une erreur dans la mesure où le conflit s’étend jusqu’au Pacifique. La mort d’Hitler aurait donc apporté la paix en Europe, tout au plus.
De plus, de nombreux attentats ont été commis contre Hitler entre sa prise de pouvoir en 1933 et 1945, tous orchestré par des opposants allemands au régime nazi, car il ne faut pas caricaturer le IIIeme reich comme un bloc uni et inébranlable: des résistances internes au nazisme existent belles et bien.
Le meilleur exemple est l’opération Walkyrie du 20 juillet 1944.
A cette date où l’armée allemande est en difficulté sur les fronts de Ouest et Est, un groupe d’opposants mené par le colonel Claus Von Stauffenberg, mettent en place un coup d’état dans le but de renverser le régime et de négocier une paix avec les alliés. Si la bombe explosa bien comme prévu, Adolf Hitler ne souffrit que de blessures superficielles.
Cette opération eut droit à une adaptation au cinéma, plutôt réussie, où Von Stauffenberg est joué par un scientologue.
Les tentatives allemandes ont donc été vaines. De leur coté, les Alliés ont-ils eu un plan similaire comme suggéré par le jeu ?
Avancer l’idée que tuer Hitler aurait pu mettre fin à la guerre entraîne des problématiques plus graves, à mon sens.
En effet, vous le savez j’espère, l’assassinat n’a jamais eu lieu. Du coup, l’inculte gamer pourrait penser que les alliés n’auraient pas tout tenté pour stopper la folie meurtrière du Fuhrer et ainsi imaginer les théories complotistes les plus folles.
Le lieu d’action de Sniper Elite V2, une gare autrichienne, est plutôt pertinent. En effet, les services secrets britanniques ont très tôt pensé à installer une bombe à l’intérieur du train du Fuhrer. Celui-ci ayant des horaires bien trop irréguliers pour permettre la mise en place d’un plan structuré, l’idée fut rapidement abandonné.
Or, dés 1942, l’Angleterre décide de préparer l’Opération Foxley. Le plan était d’assassiner le Fuhrer à Berghof, la demeure secondaire d’Hitler, située dans les Alpes Bavaroises. Le commando devait être composé d’un tireur d’élite, tiens tiens, et d’un autre soldat, d’origine polonaise, maîtrisant la langue allemande.
Le déroulement du plan était très aboutit : Hitler devait être abattu lors de sa promenade matinale au Berghof, moment de la journée où il était le moins entouré.Cependant, le plan n’a jamais été exécuté. Pourquoi ?
L’état major britannique n’arriva pas à se mettre d’accord sur ce projet, qui fut abandonné pour plusieurs raisons :
– tout d’abord, l’échec de l’opération Walkyrie engendra la quasi absence d’Hitler sur la scène public et une augmentation importante de sa sécurité, rendant Foxley plus difficile.
– de plus, les dirigeantes estimèrent qu’il était plus utile de laisser Hitler en vie, tellement il était piètre stratège militaire ! Les discordances entre le haut commandement militaires de la Wermarcht et le Fuhrer n’ont que rarement été bonnes, ce qui contribuaient grandement aux divers succès des forces alliés ! Hitler mort, un successeur bien plus compétant sur le plan militaire aurait pu prendre le pouvoir, comme Goering, le second du régime ou Himmler, le chef des SS, pour ne citer qu’eux. Prolonger la vie d’Hitler permit donc de réduire celle de la seconde guerre mondiale, aussi paradoxale qu’il puisse paraître.De plus, comme nous le montre l’excellent film La Chute, racontant les derniers jours d’Hitler, ses probables successeurs refusaient farouchement la capitulation sans condition demandée par les Alliés. Dire qu’Hitler est l’unique élément déclencheur du conflit, c’est oublier les conditions de résolution du premier conflit mondial, les courbettes des dirigeants des démocraties occidentales ou les mouvements de sympathie envers la politique allemande.