Résistance allemande sous le nazisme: l’étude de Through the darkest of times

Through Darkest of Times un jeu développé par les allemands de Paintbuckets games, Le jeu a été annoncé le 30 janvier 2019, il est sorti le 30 janvier 2020, et nous met dans la peau de résistants allemands à partir du 30 janvier 1933. Un jeu qui se veut évidemment mémoriel et qui est considéré, par ses développeurs eux même, comme un serious game.

Through Darkest of Times est un jeu de stratégie dans lequel on gère un groupe de résistants après la prise du pouvoir d’Hitler. On a en gros deux phases : une de gestion au cours de laquelle on doit envoyer nos résistants en mission en fonction des objectifs et de leurs caractéristiques propres, et une autre plus narrative où l’on doit faire des choix de dialogues ou d’actions lors des évènements marquants du III reich comme l’incendie du Reichtag par exemple.

On incarne donc un ou une résistante, généré aléatoirement, socialiste, communiste, conservateur chrétien, les choix semblent variés pour nous faire incarner les différentes tendances politiques de l’époque qui se sont toutes, à des degrés divers, opposés au nazi. Cependant, ce réalisme historique… explose dès la première minute de jeu. Parce que l’appartenance politique de nos autres compagnons de lutte sont également pris au hasard, et voir son personnage socialiste devoir lutter main dans la main avec un communiste et un libéral, prête largement à sourire, quand on sait que socialistes et communistes se sont livrer une lutte féroce pendant la montée en puissance du parti nazi. Through the darkest of times réunit donc tous ce monde sous la même bannière et donne un goût curieux de « d’unité polique» contre l’ennemi éternel dans les jeux vidéo. La Résistance, au singulier, est régulièrement rappelé dans le jeu. Alors je ne vais pas profiter de ce jeu pour vous livrer un cours sur la Résistance allemande car ça aurait pour effet de nous éloigner largement du jeu. Je vous recommanderai simplement l’ouvrage de Barbara Koehn, qui est vraiment accessible pour un public novice sur le sujet. Les développeurs auraient pu choisir l’Orchestre Rouge, nom donné par la gestapo à un ensemble disparate de militants à dominante bolchéviks ? Mais le jeu aurait surement été trop politique. Incarner la Rose blanche ? Un groupe d’étudiants connus pour avoir diffusé plusieurs séries de tracts, étaient surement trop peu spectaculaire pour un jeu vidéo. D’ailleurs, la Rose blanche est mentionnée et la scène de distribution des tracts au dessus de la balustrade. A voir si le jeu en parle plus tard.

Through Darkest of Times prend donc quelques larges libertés avec le passé sauf que ce point de vuec’est celui du prof d’Histoire.

En effet, le joueur se voit offrir différentes possibilités de gameplay : Pour réussir une mission, nous devons envoyer nos membres en fonction de leurs avoir tendances politiques. Par exemple, pour avoir le soutien financier des ouvriers, il est plus pertinent d’envoyer un communiste. Le fait d’avoir un groupe mixte entraînent des brouilles entre les membres qui ne s’entendent pas sur la marche à suivre, cela rajoute donc des choix et autres embranchements scénaristiques au jeu, même si à première vue, les variations semblent assez limitées.

Historique, ça ne tient pas la route. Ludiquement, c’est plutôt cool à jouer.

Les missions sont variées, allant de l’espionnage, à la confection de tract, jusqu’à l’organisation de réunion pour étendre votre réseau, Darkest of Times offre finalement une autre représentation que celle de la Résistance armée que l’on retrouve souvent dans les jeux vidéo, c’est toujours bon à prendre, ne crachons pas dans la soupe, c’est une excellente chose de voir le jeu vidéo s’intéresser enfin à ses thématiques. Les résistances allemandes semblent + marquée par des initiatives individuelles, hors des partis politiques durement réprimés rapidement par le jeu : Le jeu est donc assez pertinent dans ce cadre. De plus, chaque semaine du jeu n s’ouvre par la lecture des actualités dans les journaux : Pédagogiquement, c’est plutôt bien : les évènements importants sont résumés en quelques lignes dans un vocabulaire relativement simples, ce qui les rend accessibles pour la plupart des joueurs, même si on peut s’interroger sur l’apprentissage effectif de ses nombreuses dates qui vont s’accumuler au cours des heures de jeu Plus que reproduire le passé, Through the darkest of times illustre plutôt la difficulté de le rendre jouable.

La mise en jeu des résistances allemandes entraîne sa dilution dans un ensemble unifié, ce qu’on avait finalement vu, mais d’une manière dans le JVH 5 sur la résistance française. Sauf que dans ce cas précis, les développeurs allemands ont une vraie volonté pédagogique et c’est là que ça peut poser problème. La volonté de rétablir un pan souvent oublié de l’histoire de son pays en le mettant en jeu porte en lui le risque de la magnifier.

Episode 2

Avant de terminer l’aventure, je tiens à préciser que mon avis sur Darkest of times est basé sur ma seule partie du jeu, si on en croit les développeurs les embranchements sont nombreux et chaque expérience doit donc être assez singulière. N’hésitez pas ainsi à nuancer mon propos en contant votre propre aventure dans les commentaires.

Fond 

Darkest of Times est divisé en 4 périodes : l’année 1933 et la mise en place de la dictature, 1936 et les jeux olympiques de Berlin, 1941 et la guerre à l’Est, et l’année 1945 avec la fin du 3eme Reich.

Positif : On rencontre des sujets peu traités dans les jeux vidéo comme le sort des tziganes ou les stratégies des nazis pour redorer l’image du pays pendant les jeux olympiques.
Dans le dernier chapitre du jeu, on évoque également le « Cercle de Kreisau » un groupe ayant réalisé l’opération Walkyrie, une tentative d’assassinat d’Hitler, rappelons par contre que si notre mouvement de résistants est issu du peuple, ceux qui avaient le plus de chance de renverser le régime étaient les conservateurs et surtout les militaires, bref les proches du régime et ceux là on les joue pas.

A un moment, notre personnage échange avec un informateur dans un cinéma: l’image est un film de propagande tandis que le dialogue entre les deux personnages aborde la participation de la Wermarcht au génocide, un point qui a pu faire débat dans l’historiographie et dans l’opinion publique allemande. Le jeu fait ainsi face à l’histoire de l’Allemagne et c’est une séquence plutôt intéressante.

Mais scène confuse car on parle des civils soviétiques, des slaves, des juifs… Difficile de percevoir la spécificité du génocide. Ce qui est plutôt réaliste dans un sens mais qui nuit à la portée pédagogique du jeu.

Le jeu nous montre a plusieurs reprises qu’il est omniscient : le joueur et son avatar sont informés de tous les événements importants : ici par exemple,, le massacre de 12 000 juifs par les Einsatzgruppen

Si on avait voulu être réaliste, le jeu n’aurait rien de tout ça parce que les nazis ne communiquaient pas officiellement leur massacre en Une de la presse. Mais le jeu se voulant pédagogique, on tord cette réalité afin de dire quelque chose au joueur et là je trouve ça plutôt pertinent vu qu’en plus, on reste dans la diégèse du jeu.
Le témoignage de la rescapée d’Auschwitz, dont on devine l’origine juive pose question également : S’en suit un échange très pédagogique nous décrivant le processus d’extermination, sans trop savoir qui est concerné parce que l’origine des prisonniers n’est pas mentionnée. Par contre, les chambres à gaz et les crématoires, le sont. Et c’est plutôt rare dans les jeux vidéo, même si le propos est un peu confus. Notre personnage semble d’ailleurs autant choqué par le gout du docteur Mengele pour la musique classique que pour la recit poignant de la survivante.

Concernant l’antisémitisme, le découpage chronologique, en passant de 33 à 36, zappe l’application des lois de Nuremberg. Par contre, on nous propose au tout début du jeu d’intervenir et de sauver un juif d’un lynchage, puis on ne peut juste que regarder les slogans hostiles devant les commerçants juifs, et plus loin donc, on peut qu’écouter le témoignage d’une rescapée. Façon de rappeler notre progressive impuissance tout au long de la dictature nazie.

Ce qui est plutôt étonnant par contre, ce sont les grossières erreurs de date qui parcourent le jeu qui a déjà été patché une fois pour corriger l’entrée en guerre de l’Angleterre mais il reste des coquilles : il est expliqué clairement dans une scène cinématique, carte à l’appui, que les Sudètes sont annexées AVANT l’Autriche. Et personnellement, je n’arrive pas à comprendre comment on peut se tromper à ce point sur des évènements trouvables en deux clics sur Internet… D’ailleurs, je me demande si ce n’est pas la première fois que je trouve des erreurs de date dans un jeu vidéo, pas des anachronismes hein, mais de vrais faits historiques, Si vous en avez des exemples dans d’autres jeux , n’hésitez pas à les poster dans les commentaires.

Forme 

Si vous êtes attentifs aux scènes que je viens de montrer, vous aurez remarqué qu’elles ne proviennent que des moments purement narratifs. D’ailleurs, beaucoup de dialogues n’offrent qu’une illusion de choix, certaines réponses étant assez similaires : si le propre de l’attitude ludique est de décider, il faut reconnaître qu’ici ça coince un peu.

Les moments les plus ludique se déroulent sur la carte des missions : une configuration qui fait évidemment penser au jeu de plateau, mais également, comme on me la mentionné dans les commentaires du 1er épisode à Republic : The Revolution, un jeu dans lequel on incarne un homme politique devant renverser un régime…dirigé par un dictateur… en remplissant des missions via une interface cartographique et bref

Les missions ne sont pas toujours en rapport avec la narration : les plus sulfureuses sont très difficile à mettre en place et sont souvent en échec, dans mon cas,
On est donc devant une illusion de pouvoir modifier les événements, rien ne semble pour voir changer l’Histoire.

L’illusion est vite levée car on s’aperçoit rapidement que l’on doit surtout surtout son niveau de moral pour aller au bout et pour ne pas que son groupe abandonne la lute en fait et que l’on agît en fonction de ça. De plus, on joue avec nos valeurs de joueur de 2020 et pas spécialement comme un communiste ou un conservateur des années 30 etc. Reste que le jeu semble plus dur quand on est communiste en nous mettant plus d’obstacles comme des scènes d’interrogatoires, ce qui pour le coup est une idée intéressante.
Avec le temps, c’est de plus en plus dur, surtout que c’est contradictoire, la Résistance sert-elle encore à quelque chose dans les derniers mois du Reich ? Du coup, il n’y a plus d’enjeu, surtout qu’on sait très bien qu’on doit attendre début Mai pour voir le jeu s’arrêter, il nous suffisait finalement de ne plus tenter d’actions trop dangereuses pour arriver au bout, ce qui m’emmène à cette conclusion : . L’Histoire tue le jeu.

Parce que justement le jeu devait offrir un mode de jeu supplémentaire dans lequel on pouvait changer l’histoire : pas présent dans le jeu final. On peut supposer que les développeurs ont finalement eculé devant le potentiel explosif d’une telle proposition, une problématique l’on avait déjà vu pour Sombras de la guerra, un jeu vidéo sur la guerre d’Espagne proposant de réécrire le conflit.

D’ailleurs, Republic The Revolution, le jeu dont il s’est fortement inspiré, proposait lui d’arriver à ses fins, chose qu’il pouvait se permettre vu qu’il ne s’inscrivait pas dans un contexte historique réaliste, bien que la référence aux régimes soviétiques d’Europe de l’Est est évidente.

Temps fort pour le jeu, temps faible pour l’Histoire.
Temps faible pour le jeu, temps fort pour l’Histoire.

Si ça peut permettre de faire connaître la Résistance allemande, que tous les allemands n’étaient pas nazis, pourquoi pas, mais ceci dit, ça pose une autre question : vu la mobilisation de dispositifs ludiques assez anciens, entre le plateau de jeu et ses statistiques, ainsi que les livres dont vous êtes pas spécialement le héros tellement vous subissez l’action, on peut se demander si les plus jeunes, donc la cible des développeurs en mettant en avant l’aspect éducatif vont jouer à Darkest Of Times.

Si on veut vraiment que le jeu vidéo est un impact sur les plus jeunes, il faudrait que les AAA s’emparent du sujet. Et on a d’ailleurs vu ce que ça avait donné avec la conclusion de Call of Duty WWII, une fade mission dans un camp de concentration qui ne dit pas grand-chose et que nous avons déjà chroniqué dans une précédente vidéo… et sur lequel l’on va peut être revenir prochainement plus longuement vidéo en cours de montage… D’ici là, n’hésitez pas à raconter votre expérience sur Darkest of Times si vous y avez joué…parce que je me sens quand même un peu seul.
Façon de dire que ce jeu s’adresse peut être aux passionnés d’histoire avant tout et qu’il peinera peut être à toucher un public néophyte.

Bibliographie complémentaire
KERSHAW, Ian. Qu’est-ce que le nazisme? Problèmes et perspectives d’interprétation. Editions Gallimard, 2017.
KOEHN, Barbara. La résistance allemande contre Hitler, 1933-1945. Presses universitaires de France, 2003.