Texte de la vidéo
A Plague Tale Innocence, sorti le 14 mai dernier, est un jeu vidéo nous faisant suivre la destinée de d’Amitia et Hugo, deux enfants plongée en pleine guerre de Cent-Ans dans une France et une Europe dévastée par la Peste noire, une terrible épidémie responsable de la disparition d’un tiers de la population européenne au XIVème siècle.
En apprenant l’arrivée de ce jeu, j’ai tout de suite eu envie de le comparer à Kingdom Come : les deux œuvres sont en effet réalisées par deux studios originaires de la région qu’ils mettent en jeu.
A Plague Tale est réalisé par l’équipe d’Asobo Studio, des développeurs bordelais qui ont puisé dans l’architecture des villages de leur région pour construire une partie de leur direction artistique. Kingdom Come Deliverance, un jeu sur l’Europe de l’Est pendant ce même XIVème siècle, et développé par une équipe tchèque. En gros, il serait intéressant de se demander comme des studios traitent l’histoire de leur propre pays.
Bref, l’occasion est belle de reprendre la manette pour découvrir au fil d’A Plague Tale comment le Moyen Âge est mis en jeu et surtout…Histoire de jouer.
Amitia et Hugo sont deux enfants issus de la noblesse. Leur domaine est attaqué au début du jeu par des membres de l’Inquisition, un tribunal religieux chargé de juger les dissidents religieux. ils veulent récupérer Hugo, sans que l’on sache vraiment pourquoi. (…). Parents et domestiques étripés, les deux enfants se voient obliger de fuir les inquisiteurs quand un deuxième ennemi fait son apparition : des nuées de rats tuant automatiquement nos personnages dès que ceux-ci s’en approchent. Lumineuse et colorée dans ce prologue, la direction artistique prend des contours sombres et glauques en quelques minutes à peine.
Passons rapidement sur une évidence : Ces nuées de rats symbolisent la Peste noire, une épidémie provenant de la morsure de la puce du rat noir à l’origine, et qui évolua d’une forme bubonique à une forme pulmonaire plus contagieuse et meurtrière,
Représenter des Inquisiteurs, un des symboles forts de l’époque médiévale, permet de proposer une autre forme d’opposition que les rats, et par conséquent un autre gameplay : on évite les rats par des séquences de puzzle et de réflexion. La seule chose dont ils ont peur, c’est le feu. Et c’est par le feu que les contemporains tentaient vainement de circonscrire l’épidémie en brûlant les corps, ainsi que maisons et objets ayant appartenu aux défunts.
On se débarrasse des envoyées de l’Inquisition par des moments d’infiltrations ou de combats rapides et précis. Si l’on retrouve ici une représentation particulièrement noire de l’Inquisition Médiévale, il faut savoir que la torture ou les peines de mort qu’elle infligeaient, étaient beaucoup moins fréquentes qu’en réalité L’inquisition médiévale souffre ainsi de l’image de l’Inquisition espagnole qui lui a succédé : beaucoup plus violente, expéditive, notamment sous le premier grand Inquisiteur Torquemada, l’Inquisition fait donc figure ici d’un Antagoniste tout trouvé dans un jeu se déroulant en plein Moyen Âge. Ces constatations, je les tiens d’un échange avec Actuel Moyen Âge une association de chercheurs en histoire médiévale, que je remercie et je vous recommande de suivre le site et leur Twitter, notamment pour suivre leurs passionnants Thread.
Si on peut supposer que l’Inquisition n’était pas particulièrement active en 1347 au temps fort de la Peste, les intégrer dans le jeu rajoute une tension supplémentaire pour le joueur et enrichit donc le gameplay.
Mais l’évocation de la Peste ne se limite pas à la représentation de cet enfer grouillonnant, car là où le début d’A Plague Tale est brillant, c’est dans sa narration environnementale, c’est à dire dans sa manière de nous raconter l’histoire simplement par ses décors et son ambiance graphique. Le parcours des deux enfants dans le premier village est ainsi marquant car il nous fait passer devant les dégâts occasionnés par la Peste : le village est vide, la place du marché, par laquelle nous arrivons, est abandonnée et les aliments pourrissant sur place nous laisse penser que les habitants ont fui la maladie dans la précipitation, plus loin on distingue les maisons pestiférés car elles sont marquées de croix blanche. Si le décor est donc évocateur quant au contexte historique, ce dernier est tout de même soutenu par les dialogues du jeu. Certains villageois nous confirment l’abandon progressif du village, d’autres nous traitent comme des étrangers responsables de la transmission de la Peste comme il était coutume à l’époque (…) notre changement de vêtements confirme notre changement de statut social,
Pour finir, l’héroïne explique les raisons des croix blanches à son frère.
Tout comme Amicia expliquant la vie à Hugo, le jeu prend également le joueur par la main. Impression renforcé par le level design, qui nous fait parcourir des zones faiblement étendues, avec un léger effet couloir par endroit. Loin du gigantisme d’un openworld perdant l’attention du joueur, A Plague Tale peut ainsi soigner sa narration et sa direction artistique. Alors on pourrait toujours se demander si cette scène parle particulièrement au prof d’Histoire, car je possède les connaissances me permettant de comprendre celle-ci. Or, ce début de parcours dans le village est dépourvu de tout aspect fantastique, les rats sont absents, ce qui tendrait à renforcer l’effet de réel.
A ce sujet, les développeurs ont placé sur certains murs des danses macabres, un type de réalisation artistique, montrant la Mort frappant les différentes couches de la population en ces temps difficiles. Cependant, en plus d’être représentés de manières incomplètes dans le jeu, ces oeuvres n’apparaissent pas immédiatement avec la Peste Noire de 1347, mais plutôt au XVème siècle. Ce sentiment de décalage est renforcé par notre arrivée sur un champ de bataille où les bleus français et les rouges anglais se sont affrontés, on ne sait d’ailleurs si l’hallucinant amoncellement de cadavres est dû aux combats ou aux rats.Par contre, il est peu probable que des batailles d’envergure aient eu lieu en pleine Peste : pourtant combats et épidémie sont ici réunis en un même moment.
De cette traversée chaotique, nous pouvons en tirer un rapide cours d’histoire militaire, le jeu nous fait en effet passer devant un trébuchet, une catapulte, une tour de siège. Or, pour progresser, on doit également les manipuler, ces objets historiques ne sont pas que des éléments de décor, ils sont également mis en jeu.
Art, Peste, Guerre, Inquisition, tous les lieux communs du Moyen Âge sont rassemblés dans un processus que le jeu vidéo aime bien faire pour rendre signifiant son univers: la contraction de l’espace temps.
Après ces premières heures de jeu, je me suis rapidement aperçu que ma comparaison avec KDC était caduque et qu’il fallait plutôt se tourner vers The Last Of Us.
– Le début du jeu où l’on doit fuir notre domicile en panique dans un monde au bord de l’apocalypse, c’est The Last Of Us.
– Le gameplay punitif nécessitant généralement de one shoter les ennemis, c’est The Last Of US.
– Le couple de personnage, l’un devant protégé l’autre, c’est The Last Of Us
– Le crafting et la confection de stuff, c’est The Last of us.
– Et pour finir, The Last Of Us était une excellente expérience de jeu tout comme A Plague Tale.
Si A Plague Tale c’est The Last Of Us au Moyen âge, cette comparaison n’est évidemment pas négative, mais j’espère tout de même que le jeu d’Asobo Studio saura trouver sa patte personnelle au fil de l’aventure.