Comme je l’ai expliqué dans l’introduction de cette chronique, si le jeu vidéo n’est que peu utilisé en Histoire-Géographie, il existe d’autres disciplines où son expérimentation est plus aisée.
Découvrons aujourd’hui comment Stéphane Cloatre, enseignant en Technologie, fait jouer ses élèves au célèbre Minecraft.
- Est-ce une éventuelle passion pour les jeux vidéo qui t’ont amené à utiliser Minecraft en classe ? Ou, à l’inverse, est-ce d’autres enseignants qui t’ont donné envie de te lancer sur cette voie ?
Un peu des deux en fait. Je joue assez peu par manque de temps, c’est d’ailleurs assez frustrant. Mes enfants (10 et 13 ans) par contre ont accès à des jeux vidéo et me narguent régulièrement depuis leur console !
Pendant longtemps je n’envisageais pas que l’on puisse utiliser le jeu vidéo en classe mais j’ai découvert qu’à l’étranger certains enseignants le faisaient depuis plusieurs années.
Les premiers retours semblaient positifs en terme d’engagement des élèves en classe. J’ai rencontré Vanessa Lalo (psychologue clinicienne spécialisée dans les jeux vidéo) et d’autres collègues qui souhaitaient se lancer dans l’aventure : ça m’a rassuré.
- Quel est ton parcours vidéoludique ?
J’ai de vagues souvenirs d’avoir pu jouer sur console chez des voisins dans mon enfance mais je n’ai pas commencé à jouer avant d’être étudiant. Là par contre, toujours sur le matériel de copains, j’ai passé des heures sur Wolfenstein 3D (1992), Doom (1993), X-Wing (1993).
J’ai acheté ma première Playstation un peu plus tard. Mes jeux de prédilection étaient Tomb Raider, MetalGear Solid, Gran Turismo, Medal of Honor. A la même époque, sur PC, je jouais à « Versailles : complot à la cour du roi Soleil » et Age of Empire.
Je suis brièvement passé sur la GameCube de Nintendo quand mon premier enfant était en âge de jouer : je l’ai aidé à passer des niveaux sur « Winnie l’ourson : à la recherche des souvenirs oubliés » en massacrant les éphélants !
Sans m’en rendre compte, je constate que je suis un fidèle des Playstation, j’ai eu toutes les générations entre les mains finalement. Seulement aujourd’hui ce n’est plus ma console mais celle de mes enfants (on est peu de choses !). Actuellement je parcours les différents Assassin’s Creed : c’est beau mais répétitif …
- Est-ce que tu connais la culture vidéoludique de tes élèves?
Leur culture je ne sais pas mais leurs pratiques oui. En début d’année je fais systématiquement une enquête auprès de tous mes élèves sur le matériel dont ils disposent, leurs usages du numérique et des jeux vidéo. On voit clairement une différence entre les garçons et les filles.
Ainsi pour mes élèves de cinquième (12-13 ans) : les consoles (toutes versions confondues) les plus présentes dans les foyers sont la WII (60% des foyers), la PS (52%), la DS (44%) puis la Xbox (22%).
les 5 jeux les plus joués par les garçons sont : GTA, FIFA, Clash of clans, Minecraft et Call of Duty
les 5 jeux les plus joués par les filles sont : Geometry Dash, les Sims, des jeux en ligne variés (jeux.fr, facebook), Mario kart et Movie Star Planet. J’aimerais prendre le temps de creuser ce sujet car ça m’interpelle de voir une telle césure.
- Quel a été ton premier contact avec Minecraft ? A quel moment as-tu eu le déclic pour l’utiliser en classe?
Ce sont mes enfants qui m’ont fait découvrir Minecraft il y a un peu plus de deux ans et je me suis mis à jouer avec eux. Les élèves m’en parlaient aussi régulièrement. Au début l’aspect minimaliste des graphismes m’a quand même rebuté («Hey ! mais c’est un retour en arrière ! C’est plutôt moche non ?»). Ensuite la mécanique du jeu (miner, fabriquer), et sa grande liberté m’ont conquises. J’ai du jouer une dizaine d’heures avant d’envisager de l’utiliser en classe.
Étant prof de Technologie en cinquième, l’essentiel de mon programme tourne autour de l’étude des bâtiments et des ouvrages d’art, l’idée a commencé à faire son chemin. J’avais bien tenté d’utiliser des « jeux » sérieux mais je me suis rapidement rendu compte que les élèves étaient peu investis car peu créatifs avec ce type de support. C’est bien pour passer le temps le dernier jour avant les vacances mais pour moi ça s’arrête souvent là !
J’ai alors commencé à regarder si des enseignants utilisaient Minecraft ou d’autres jeux vidéo en classe. Je me suis rapidement rendu compte qu’en France c’était quasi inexistant et que l’essentiel des expériences qui étaient menées l’étaient dans des pays anglo-saxons pour ce qui concerne les jeux vidéo « détournés ».
J’ai lu beaucoup de travaux de recherche sur le sujet et découvert le Graal, une version éducative de Minecraft : MinecraftEDU. Cette version développée par des enseignants et des développeurs américains et finlandais (TeacherGaming) m’a vraiment fait sauter le pas. Elle permet à l’enseignant de créer, en local, un serveur Minecraft et donc de contrôler une carte sur laquelle peuvent se connecter jusqu’à 30 élèves.
- Comment utilises-tu concrètement ce jeu dans ta classe?
En terme de préparation de cours je procède comme avant. Je pars avant tout du programme et des compétences en Technologie et je vois si Minecraft est pertinent comme outil. La plupart du temps je prépare une carte « sur mesure ».
Par exemple une carte avec différents binômes pour travailler sur la disponibilité des matières premières et les matériaux et pour voir leur influence sur l’environnement bâti, une carte avec des zones de construction prédéfinies pour reproduire à l’échelle un bâtiment réel etc.
Sinon on travaille sur des projets de plus grande ampleur comme la reproduction du collège et de notre quartier, la construction d’un village médiéval et son château… La particularité avec Minecraft est que l’on peut partir de ce qui a été fait l’année précédente pour l’amplifier, l’enrichir. A terme les élèves pourront créer « un jeu dans le jeu » en introduisant des énigmes, en créant des PNJ, en tournant un film (machinima) …
- Quel est le matériel dont-tu disposes ?
Je dispose de 15 PC fixes avec 2Go de RAM fournis par le conseil départemental. Ce ne sont pas des foudres de guerre mais c’est suffisant pour Minecraft. J’ai essayé d’utiliser Kerbal Space Program mais malheureusement ils ne suivent pas.
Pour être précis voici de quel type de poste il s’agit :
Ordinateur Fujitsu
Modèle : Esprimo E520 E85+
Processeur G1820 à 2.7GHz cache L3 2Mb
Mémoire 2 Go DDR3
Intel HD Graphics (base HD 2500)
Windows 10
Ecran 20 pouces E20T-6
- Comment ta pratique avec Minecraft a évolué ?
J’anticipe mieux les problèmes qui peuvent se produire en classe en ayant par exemple des cartes plus simples à comprendre pour les élèves. Au début je m’amusais à mettre des petits trains pour circuler dans la map : je passais mon temps à téléporter les élèves qui tombaient par erreur des wagons et se retrouvaient coincés !
J’insiste aussi plus sur la phase de préparation et de coordination des équipes. Les élèves sont en effet toujours par groupes de 4 (2 élèves par poste) sur le même projet. Ils ont tendance à foncer la tête baissée dans le jeu ce qui génère ensuite des problèmes : destruction du travail des autres par erreur, perte de temps, conflits. On apprend donc à se poser et à réfléchir avant et après. Il est très difficile de donner de nouvelles consignes une fois qu’ils sont connectés ou alors par tchat.
- A quelle fréquence tu utilises Minecraft par rapport à des cours « classiques ? »
En ce début d’année sur 10 séances, les élèves ont eu en gros 3 séances de jeu. Évidemment on ne passe pas toute une séance à jouer, sur 1h30 c’est au grand maximum 1h.
Les phases de préparation (recherche, conception de plans, coordination), de synthèse et d’évaluation prennent bien plus de temps que le jeu lui-même. Par contre les élèves sont toujours aussi « engagés ».
J’utilise aussi d’autres supports que Minecraft comme Sweet Home 3D et je teste actuellement le jeu Stronghold 2.
- Comment évalues-tu tes élèves avec ce jeu ?
Les élèves ne sont pas évalués directement avec le jeu, en tout cas le moins possible. En ce début d’année, comme ils ont découvert comment je lance un serveur et qu’ils devaient s’y connecter en utilisant une adresse IP nous avons abordé la notion de réseaux informatiques. Ils ont été évalués de manière classique sur papier.
Un peu plus tard ils devaient reproduire la salle de Technologie à l’échelle dans Minecraft : ils ont été évalués sur leurs mesures (papier), leurs calculs (papier), leurs plans (papier) et le respect de leurs plans dans leur construction (Minecraft). Comme j’évalue par compétences (pas de notes) j’ai aussi plus de souplesse.
« Alors c’est vrai ? On va VRAIMENT jouer à Minecraft en classe ? »
- Quelles ont été les réactions de tes élèves ?
Les élèves ont été très surpris la première fois que je leur en ai parlé : je leur ai expliqué la démarche, les raisons pour lesquelles j’ai choisi Minecraft etc.
J’ai eu face à moi des regards un peu vides, ils ne comprenaient pas du tout ce que je venais de leur annoncer (sauf quelques uns).
Au bout d’une heure quand j’ai dit que nous allions nous connecter à Minecraft beaucoup m’ont dit « Alors c’est vrai ? On va VRAIMENT jouer à Minecraft en classe ? ».
Par la suite leur enthousiasme ne s’est pas démenti et s’est même diffusé aux activités qui n’utilisent pas le jeu. Ils se rendent compte que c’est plutôt une chance pour eux.
Pour être honnête une partie des élèves était beaucoup moins enthousiaste au départ. Il s’agissait souvent de filles, sans difficultés scolaires et non joueuses qui avaient peur d’une baisse de leur résultats car « elles ne savent pas jouer ». Elles connaissaient assez peu Minecraft.
Elles ont progressivement été rassurées par le fait que je n’utilise pas le jeu pour évaluer : d’ailleurs elles avaient de très bons résultats. En fin d’année je me suis rendu compte qu’elles avaient changé de regard sur Minecraft. Elles ont eu un apport très positif dans leurs groupes car elles ont contribué à la préparation minutieuse des travaux.
- Et celle de tes collègues?
Les collègues n’ont pas exprimé d’hostilité ni d’enthousiasme débordant. Pour certains je pense que le manque de connaissance de l’univers du jeu vidéo fait qu’ils ne se sentent pas concernés. Quelques collègues souhaitent intégrer le jeu vidéo mais ne savent pas par où commencer. Les contraintes horaires et les programmes mettent souvent les enseignants dans une position où le changement de posture pédagogique est difficile et insécurisant.
Ma Direction voit plutôt d’un bon œil les pratiques pédagogiques qui sortent de l’ordinaire. Ceci dit je suis conscient que je ne suis « que » prof de Technologie : quelles seraient les réactions si un collègue de français ou de math se lançait dans l’aventure ?
Un enseignant de collège en Histoire-Géo dans l’Est de la France m’a confié avoir eu des réactions hostiles de la part de ses collègues ou du Rectorat à l’introduction de Minecraft dans ses cours. L’idée que l’on puisse jouer pour apprendre a encore du chemin à faire en France.
«Surfer sur les réseaux sociaux ne te prépare pas forcément à envoyer un email avec pièce-jointe !»
- Les élèves sont-ils forcément enthousiastes et à l’aise avec le numérique ?
Concernant les élèves et le numérique en général on a vraiment une vision déformée de la génération « digital natives ». Beaucoup d’élèves ne sont pas à l’aise et restent sur des pratiques qu’ils maîtrisent mais finalement très ciblées (jeux, lecture de vidéo, réseaux sociaux). Surfer sur les réseaux sociaux ne te prépare pas forcément à envoyer un email avec pièce-jointe ! D’ailleurs des sociologues comme Pascal Plantard arrivent aux même conclusions : la fracture numérique n’est plus au niveau des équipements mais des usages.
Les élèves consomment le numérique mais ne le maîtrisent pas : c’est pour cela que l’école a un grand rôle à jouer pour développer leur regard critique, les mettre en position de créateur etc. Progressivement, dans le cadre de l’apprentissage du codage, je souhaite leur faire développer des petits jeux vidéo.
« Un élève en situation de stress n’est pas en capacité d’apprendre, alors qu’éprouver du plaisir, se sentir engagé, favorise l’apprentissage.»
- Alors du coup, le jeu vidéo serait la solution miracle pour résoudre les problèmes d’instruction en France?
Toutes les compétences du programme ne peuvent pas être abordées avec Minecraft. Le jeu vidéo fait appel à un certain type d’intelligence : il faut donc varier les activités. Ce qui compte c’est le contexte dans lequel ont met les élèves. Les apprentissages ont-ils du sens ? Sont-ils actifs ou passifs ? Doivent-ils collaborer entre eux ? L’erreur a-t-elle sa place ? L’ambiance de classe est-elle détendue ?
Minecraft ou les jeux vidéo ne sont pas la panacée : on peut très bien utiliser le jeu vidéo de manière ennuyeuse et répétitive comme rendre les élèves acteurs et motivés avec un autre support ! A chaque enseignant de trouver la recette qui lui convient le mieux. C’est important que les élèves vivent différentes approches au cours d’une même journée.
- Je lis souvent que le jeu en classe permet une inversion des « performances » pour un élève en difficulté. Es-tu d’accord avec cette affirmation ?
En l’état actuel des choses je pense que c’est exagéré et de toute façon difficilement mesurable. C’est tout le problème des enseignants : ils travaillent avec de l’humain pas dans une usine ! La rencontre entre un enseignement et des élèves peut donner des effets bien des années plus tard sans que personne n’en ait conscience sur le coup. Il n’y a donc pas de méthode miracle et c’est tant mieux. Ceci étant dit, il est prouvé qu’un élève en situation de stress n’est pas en capacité d’apprendre, alors qu’éprouver du plaisir, se sentir engagé favorise l’apprentissage. Certains jeux vidéo peuvent y contribuer. Un élève en difficulté qui est content d’être en classe et se sent à nouveau valorisé peut alors entrer dans une spirale positive qui aura un impact sur sa relation à lui-même et à l’école.
- Travailles-tu avec des collègues de technologies ? Avec des collègues d’autres matières ?
Je suis enseignant à mi-temps car je suis déchargé de cours pour former les enseignants au numérique et accompagner les établissements. Quand je passe dans mon collège je vois mes élèves mais peu les collègues de Technologie. En fait, je suis plutôt en contact avec des collègues d’un peu partout en France qui me demandent conseil pour se lancer sur MinecraftEdu.
Ceci dit, j’ai accompagné ma collègue de Latin dans l’utilisation de ce jeu avec ses élèves. Elle ne joue pas aux jeux vidéo mais s’est lancée malgré tout. Elle s’est notamment appuyée sur les élèves qui connaissent Minecraft. Je suis bluffé par leurs résultats : ils ont commencé à reproduire le forum romain, ont créé un amphithéâtre (en incluant des machines) et vont organiser des combats de gladiateurs. Les collègues d’Histoire Géo vont emmener leurs élèves visiter leurs constructions avec un questionnaire. J’accompagnerai d’ailleurs les latinistes à Rome au printemps prochain : j’ai hâte de voir leurs réactions sur le forum romain IRL !
- Quels sont tes futurs projets d’utilisation du numérique à l’école?
Je viens seulement d’entamer ma deuxième année avec Minecraft, j’ai donc encore beaucoup à découvrir, en particulier :
– l’enrichissement des maps avec des PNJ interactifs et un système de quêtes
– le tournage de machinima en lien avec mes collègues de français, éducation musicale, arts plastiques (et plus si affinités)
– l’apprentissage du code avec computercraft, un mod désormais inclus dans MinecraftEdu qui permet de programmer des tortues (je n’ai pas encore essayé)
Je teste actuellement le jeu StrongHold 2 avec mes élèves (matériaux, évolution des besoins) et j’aimerai avoir des PC plus performants pour pouvoir utiliser Kerbal Space Program.
En tant que formateur TICE je suis très sollicité en ce moment sur les nouveaux outils numériques tels que les tablettes ou le BYOD (Bring Your Own Device) : je ne peux pas tout tester moi-même alors je me déplace pour observer les enseignants défricheurs et partager leurs expériences plus largement.
Stéphane Cloatre est enseignant en Technologie au collège Jeanne d’Arc de Fougères (35), il est également formateur dans son académie.
Son site professionnel pour aller plus loin
Sa chaîne YouTube avec des tutoriels pour Minecraft et des comptes-rendus de séance
Interview réalisée par Romain Vincent, enseignant en Histoire-Géographie dans l’Académie de Créteil
Chaîne YouTube « Jeux Vidéo et Histoire »
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