Vous avez trouvé mon cours avec Stronghold original ? Découvrez comment Julien Lalu, enseignant en histoire-géographie, utilise Skyrim avec ses lycéens.
- Quelle est ta culture vidéoludique?
Ma première console fut un Gameboy avec Super Mario Land mais je pratiquais seulement durant mes heures d’ennui (voiture, salle d’attente…). C’est avec la version rouge de Pokémon que le passion est née (autant pour le jeu vidéo que pour les jeux de rôle). Rapidement, j’ai obtenu une SNES (Super Mario, Megaman X, The Legend of Zelda).
« Mon engouement est né avec Final Fantasy IX et son scénario teinté de médiéval-fantastique »
Jusqu’à l’âge de 11 ans, je ne connaissais que du Nintendo : Smash Bros, Mario Kart, Pokémon, Super Mario, Donkey Kong, The Legend of Zelda…
Avec Ocarina of Time, la passion pour les jeux d’aventure – rôle revient avec force.
Avec Final Fantasy IX j’ai connu mes premières nuits blanches, mes premières émotions vidéoludiques, où je me suis attaché pour la première fois au scénario. C’est principalement grâce à la trame scénaristique teinté de médiéval-fantastique que l’engouement est né.
Depuis, j’ai joué à une grande variété de jeux : combat (Tekken, Street Fighter), plate-forme (Mario, Crash Bandicoot), arcade (Burnout, Need for Speed), action-aventure (The Legend of Zelda), FPS (Medal of Honor), STR (Rise of Nation, Total War, Age Of Empire). Mais, c’est avec les RPG que je prends le plus de plaisir : Final Fantasy, Kingdom Hearts, Pokémon, Secret of Mana, Tales of, Nier…Ma recherche de scénario profond m’a emmené aussi vers des survival-horror comme Silent Hill.
Par passion, j’ai commencé à acheter et conserver les jeux dès que je suis arrivé à la Fac. J’ai commencé une collection qui aujourd’hui commence à être conséquente et ne limite pas à Nintendo et Sony !
- Connais-tu celle de tes élèves?
Je sais qu’ils jouent principalement à des jeux dits « AAA » principalement du Call of Duty et du Fifa.
J’ai remarqué un grand intérêt pour les jeux « à la mode » tels que League of Legends mais aussi une connaissance plus pointue de certaines séries comme Dark Souls. Ils sont de plus en plus intéressés par le retro-gaming et des jeux post-Playstation 2.
Il n’y a pas vraiment de distinction entre les filles et les garçons à part qu’elles jouent plus aux jeux F2P sur les réseaux sociaux.
- Pourquoi utiliser Skyrim et son univers fictionnel ?
Premièrement, tous les jeux vidéo sont des univers de fiction donc il est nécessaire de les remettre en perspectif notamment avec l’utilisation de Skyrim.
Le jeu de Bethesda a deux avantages :
Le chapitre de seconde durant lequel j’ai utilisé le jeu se nomme « Culture et Société rural (XIe – XIIIe siècles) ».
L’objectif de ce chapitre est de comprendre l’organisation de la société féodale (seigneurie, société d’ordre), le principe de vassalité, la place de la chevalerie et la distinction entre la culture des élites et la culture du peuple. Cette dernière est basée en partie sur des légendes orales, des écrits laïques (bestiaires, légendes arthuriennes…) et traditions régionales. Le jeu permet d’aborder, dans un contexte nordique, la vision fantasmée que les médiévaux pouvaient avoir de leur espace (forêt, montagne, bestiaire, bandits).
Le jeu m’a aussi servi à donner une image de l’espace géographique du Moyen Âge : une urbanisation très faible, la présence de la seigneurie (châtellerie), la présence de communauté villageoise, distinction entre réserves et tenures, le développement des voies de communication (fleuve, voie terrestre), la hiérarchisation de la société avec seigneur-lige (Jarl), vassal, arrière-vassal puis clergé et Tiers-État (bourgeois, artisan, paysan).
Enfin, une visite d’un fort avec les différents espaces : murailles, bas-quartier, haut-quartier et fort du seigneur.
D’autres jeux auraient pu convenir mais j’ai voulu utiliser un titre très connu, récent et à succès pour toucher le plus d’élèves possibles.
- Comment tu as concrètement utilisé le jeu en classe?
Je pratique le jeu pendant que les élèves observent et prennent des notes sur les différentes interventions que nous faisons. Je commence après la scène d’introduction du jeu à la sortie d’Helgen.
Par l’observation du jeu, on peut constater que :
¤ La société médiévale était principalement rurale
¤ L’espace géographique est peu urbanisé
¤ Les moyens de communication sont limités : rivière, chemin pavé hérité de l’Empire romain (que l’on retrouve dans le jeu)
¤ L’espace était peu sécurisé ce qui causait des guets-apens à l’orée des forêts et à un bestiaire fantasmé.
Ensuite, le visionnage de la carte de Bordeciel, nous permet de voir la composition du monde de Skyrim :
¤ Un espace composé de seigneurie (Châtellerie) avec un espace rural (campagne) et un centre du Pouvoir (un fort)
¤ Un espace dirigé par un seigneur noble (Jarl) et travaillé par la paysannerie (ce qui permet d’évoquer les 3 ordres)
¤ Le conglomérat de plusieurs seigneuries forme un royaume avec un centre (la ville de Solitude)
L’arrivée à Rivebois sert à aborder les communautés villageoises dans l’Occident chrétien. C’est le premier village que le joueur rencontre sur son chemin :
¤ À partir du IXe siècle, des communautés villageoises primaires se forment et servent principalement à se protéger en créant un centre urbain au cœur de la campagne.
¤ Elles sont organisées autour d’une voie principale ; d’un centre économique (marché), sont très proches des cultures agricoles, et d’un centre religieux (temple)
La ville de Blancherive est le centre de la chatellerie (seigneurie) de Blancherive et est organisé en motte castrale : c’est l’occasion d’aborder le sujet et l’organisation de ces centres (étude des murailles, bas quartier pauvre, haut quartier riche, Fort Dragon le lieu de pouvoir situé en hauteur, étude de la cour seigneurie du Jarl accompagné de ses prêtres, conseillers et chevaliers).
Pour les élèves : le jeu est totalement intégré à la séquence.
Ils devaient donc prendre en note le cours sur le chapitre. Le jeu servait à illustrer le propos. Mes collègues et moi (4 enseignants) avons commencé par une introduction classique sur la société d’ordre avant de lancer le jeu.
Ensuite, le déroulé du jeu que j’avais prévu suit le cours et le plan que nous avions mis en place par avance : j’avançais dans le jeu pour montrer un élément à comprendre, nous l’expliquions en même temps puis nous le faisions noter par les élèves.
Entre chaque éléments et avant de reprendre l’avancée, nous demandions si il y avait des questions, remarques ou interrogations plus précises.
- Comment s’est déroulé le retour en classe?
Il était nécessaire, dans le cours suivant, de reprendre un certain nombre de points pour être certain que l’ensemble de la classe possède la même information.
Je reprenais simplement le plan et les idées générales. Les exemples sont en lien avec le jeu donc communs à l’ensemble.
Généralement, je reprends sous la forme d’un schéma bilan pour l’intégralité de la partie. Par exemple, un schéma bilan de la seigneurie avec les différents espaces (fort, forêt, tenure, réserve, communauté villageoise).
« C’est un RPG, ce qui permet d’aborder la vision initiatique du parcours du chevalier »
Pour le décryptage du jeu, je me suis principalement concentré sur l’objet en lui-même. Nous avons travaillé sur la remise en contexte du jeu, basé sur une civilisation nordique fantasmée tout en présentant des aspects de la féodalité.ce qui permet aussi d’aborder les fantasmes sur la période.
Skyrim est une oeuvre grand public sans prétention historique donc qui implique des choix narratifs
C’est un RPG donc l’orientation du gameplay et le level-design est basée sur l’évolution et l’acquisition d’expérience, d’équipement et de connaissance permettant ainsi d’aborder la vision initiatique du parcours du chevalier à l’époque médiévale (du bachelier au chevalier).
- Es-tu satisfaisait de la séquence globale ?
Plutôt oui. Les élèves étaient emballés d’étudier via ce médium. Pour la grande majorité, c’était la première fois. Cela a permis de créer une certaine proximité entre eux et l’Histoire. Chacun intervenait en conseillant la meilleure trajectoire ou vivait le combat contre un bandit.
C’est une expérience que je compte retenter l’année prochaine et peut-être étendre à d’autres chapitre avec d’autres jeux.
Il y a quelques éléments que je voudrais modifier : j’aimerai faire jouer les élèves mais pour cela il faudrait pallier à la limite technique…
« Skyrim a permis de créer une proximité entre les élèves et l’Histoire »
- Quelle a été la réaction de…
Tes élèves ? : elle a été double. Une très large majorité ont été sous la charme de cette expérience. Certains élèves un peu bruyants en temps normal sont restés deux heures sans bruit en prenant l’intégralité du cours. Beaucoup ont déclaré que cela avait rendu l’Histoire vivante et que ça motivait à travailler.
À l’inverse, d’autres (une très faible partie) se sont ennuyés et auraient préféré un cours magistral.
Tes collègues ? : ils étaient tous emballés par l’idée. Tous mes collègues d’Histoire ont été volontaires pour proposer leur classe. J’ai pu ainsi me concentrer sur le jeu pendant que les autres s’occupaient de passer dans les rangs. J’ai pu aussi compter sur l’aide d’un collègue beaucoup plus spécialiste que moi des civilisations nordiques. Mes autres collègues m’ont encouragé à prendre cette initiative donc aucune hostilité (affichée en tout cas).
Ta direction ? : Il n’y a eu aucun problème de ce côté là, au contraire. La direction est plutôt ouverte à ce genre d’expérience et encourage les prises d’initiative. J’ai même été félicité et encouragé à recommencer.
« C’est devenu un moyen éducatif permettant de reconnecter certains jeunes avec le système scolaire »
- Que répondrais-tu aux sceptiques de l’utilisation du jeu vidéo, et de leur part de fiction, en cours d’Histoire ?
Que l’interactivité caractéristique des jeux vidéo contrairement aux autres médiums, est un atout majeur pour donner une image du passé. Un jeu est ce qu’on en fait : si je choisi de laisser la narration de côté pour me balader et observer le décor, j’en ai la possibilité. Ça n’est pas possible avec un reportage ou un film par exemple. Je peux ainsi construire, à mon sens, une progression bien plus cohérente avec le programme.
Je répondrais aussi que le jeu vidéo à l’avantage d’être populaire et parle à un grand nombre de personne notamment de jeunes. Cela permet aussi de montrer qu’il n’y a pas d’opposition entre le ludique et l’apprentissage. Il ne s’agit pas d’apprendre en jouant mais d’apprendre grâce au jeu. Ce dernier reste un moyen, un vecteur qui ne peut se substituer à l’enseignant pour une remise en perceptive et une explication des concepts. C’est devenu un moyen éducatif permettant de reconnecter certains jeunes avec le système scolaire ou développer un nouveau discours sur des disciplines fondamentales (Histoire-géo).
« L’historien n’est pas juge, il est enquêteur »
Il est vrai que, comme tout médium scénarisé, le jeu vidéo donne une grande place à la fiction (c’est même son essence). Mais loin d’être une entrave à la véracité historique, la fiction peut servir la recontextualisation. Partir des fantasmes diffusés dans la société pour déconstruire les discours et redonner des clefs de lecture structurées sur le passé est le rôle de l’enseignant et par extension, du système éducatif. C’est aussi l’occasion de montrer que la discipline historique, depuis Jules Michelet, s’est construite comme une fiction soumise aux courant de pensée et aux évolutions politiques. Un « roman vrai » selon l’expression de Paul Veyne. Il est nécessaire de montrer aux élèves que le rôle de l’historien n’est pas de donner la vérité mais de proposer une possibilité du déroulement du passé en fonction des preuves (sources) à sa disposition.
L’historien n’est pas juge, il est enquêteur : le jeu vidéo peut donc participer du discours de l’historien pour comprendre l’image que la société a du passé.
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Julien Lalu est enseignant en histoire-géographie et doctorant en histoire contemporaine au laboratoire CRIHAM (Centre de Recherche Interdisciplinaire en Histoire, Art et Musicologie) à l’Université Sciences Humaines et Arts de Poitiers, ses recherches portent sur les discours et les traitements politiques et médiatiques du jeu vidéo en France entre 1972 et 2012.
Il est l’auteur de « Le jeu vidéo, un médium qui donne une vision du monde : L’exemple des représentations du passé » aux éditions Broché (2016).
Il publie également des billets sur ce thème sur www.theoria.fr.
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Interview réalisée par Romain Vincent, enseignant en histoire-géographie au Collège de l’Europe (Chelles, 77) et créateur de la chaîne Jeu Vidéo et Histoire sur YouTube.
Les précédentes chroniques :
1 « M’sieur, quand est-ce qu’on joue? Une introduction »
2 « M’sieur, quand est-ce qu’on joue à Minecraft? Interview de Stéphane Cloatre »
3 « M’sieur, quand est-ce qu’on joue au Moyen-Âge? Stronghold en 5ème »
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