XP de joueur : Total War Medieval II / Company of Heroes (Lima)

Les échanges sur le Discord JVH sont souvent l’occasion pour les membres de développer des analyses de certains jeux « historiques ». Cette nouvelle rubrique compile leurs écrits du Discord, avec leur accord. Aujourd’hui, Lima nous parle de ses parties de Total War et Company Of Heroes.

Lima – 26 février 2022

Après les présentations, il semblerait que la coutume soit de parler de son jeu historique préféré. Je cherchais comment aborder le sujet quand je suis retombé sur l’épisode pilote d’« Apprendre en jouant ? » qui posait plusieurs questions, et une parmi elles qui se demandait si le gameplay lui-même pouvait contribuer à l’apprentissage de l’Histoire, quand la plupart des jeux proposent effectivement des pavés encyclopédiques à côté desquels les moins passionnés passeront volontiers sans y jeter un œil. Et je crois avoir repéré quelques occurrences.

Apprendre avec Total War Medieval II


Je voudrais donc citer sans la moindre originalité la licence Total War, et plus particulièrement l’opus Medieval II (sachant que certains exemples choisis pour étayer le propos pourront se retrouver dans d’autres jeux de la licence), ainsi que Compagnie of Heroes premier du nom.
Je pense qu’il s’agit d’une évidence pour tout le monde, mais je tiens à préciser que j’ai conscience qu’un jeu ne saurait fidèlement rendre compte de ce qu’est la guerre, ni dans son horreur ni dans ses mécaniques profondes [NDA: j’ai rédigé ce billet en début de semaine et j’avais l’impression d’en faire des caisses, mais compte tenu de l’actualité je me demande si je ne devrais pas appuyer un peu plus dessus…]. Ça n’est d’ailleurs heureusement pas son but. Je propose ici simplement des exemples qui mettent en lumière des éléments que l’on peut retrouver dans certains livres, témoignages et manuels.

Une bataille dans Total War Medieval II
Total War : Medieval II

Medieval II est donc un jeu de stratégie nous proposant de jouer le dirigeant intemporel d’un royaume dans une durée s’étalant de la mort de Charlemagne à la conquête du Nouveau monde. Dirigeant intemporel car nous n’incarnons pas le roi, mortel, qui est finalement relégué au rang de simple noble dont nous pourrons disposer à notre guise. Nous sommes plus une « conscience vivante » du royaume qui survit aux siècles.

« l’expérience de jeu nous renseigne sur ce qui constitue des évidences pour tout tacticien »


Tout puissant que nous sommes, nous avons des comptes à rendre, et notamment au pape (si vous jouez un royaume chrétien) sous peine de se voir la cible d’une croisade. Évidemment, chaque partie s’inscrit fatalement dans un scénario uchronique, ne serait-ce que parce que l’IA n’est pas programmée pour agir selon la réalité historique. Mais il me semble que, en ayant ajouté cette autorité « supranationale » (oui le terme est anachronique mais tout le monde a l’idée) qu’est l’Église, et en ayant ajouté la possibilité de la satisfaire ou de la décevoir à des degrés variés, le jeu rappelle que les royaumes chrétiens ne formaient pas une famille unie, et que des conflits pouvaient éclater, rendant extrêmement poreuses les notions de « politique » et de « religieux » (en particulier lorsqu’il s’agira d’élire le futur pape, qui ne manquera pas de se rappeler si vous l’avez soutenu ou non). Ainsi, tel François Ier, nous pouvons nouer une alliance avec les Ottomans contre le Saint-Empire.
A propos de questions militaires, il est devenu évident pour tous joueurs ayant une expérience de la licence Total War (et d’autres) qu’une attaque sur les flancs ou sur les arrières, en particulier de cavalerie, avait un effet dévastateur sur les effectifs ennemis et surtout sur leur moral. Encore eut-il fallu le constater à un moment, l’apprendre. Et jouer une bataille ou même simplement la regarder a peut-être plus d’impact que de le lire. Ainsi, l’expérience de jeu de Total War nous renseigne sur ce qui constitue des évidences pour tout tacticien : il est plus avantageux de tirer depuis les hauteurs, courir sur de longues distances fatigue, un contingent de conscrits rompt le combat plus rapidement que des militaires entrainés…

Total War et Clausewitz


Clausewitz avait constaté que le plus gros des pertes lors d’une bataille avait lieu à la fin de celle-ci, lorsqu’une armée, démoralisée, se préoccupait davantage de sa fuite que du combat. Et bien tous les jeux Total War permettent la poursuite de la bataille après que celle-ci ait été remportée, étant entendu qu’un homme qui fuit reprendra les armes, contrairement à un homme mort. Se débarrasser des fuyards ennemis a donc non seulement un impact sur les prochaines batailles en jeu, mais c’est en plus une pratique historiquement attestée.
C’est d’autant plus nécessaire de poursuivre les fuyards dans cet opus puisqu’il prend en compte une réalité de la période médiévale, à savoir les échanges d’otages. Chaque bataille victorieuse nous offre le choix de disposer d’un nombre d’otages (nombre proportionnel aux pertes infligées et à valeur variable selon le rang de chaque otage) allant de son exécution à sa libération pure et simple, histoire de ne pas trop froisser ceux d’en face dans la perspective d’une paix prochaine. Alors surement que la gestion de ces otages aurait mérité d’être peaufinée, mais le simple fait d’y avoir pensé permet d’aborder la question, et de rappeler que même des rois ont été faits prisonniers, comme ce cher François Ier (oui encore lui).

Une bataille rangée dans Total War Medieval II
Total War



En jouant à Total War sur une période qui couvre tout le Moyen-Age, on voit aussi apparaitre plusieurs évolutions, ne serait-ce que l’apparition des armes à feu. A mon sens, cela contribue à contredire cette idée répandue chez les profanes que la période se résumerait à un visuel facilement identifiable, celui du chevalier dans son armure du XIIIe, évoquant le fameux « temps des rois », profanes qui oublient que la période s’étend sur 1000 ans, et que la technologie aussi bien que les mœurs ont bougé. Cela peut sembler un apprentissage bien mince, mais ça n’est pas forcément quelque chose de clair dans la tête de tous nos contemporains (et on ne remerciera jamais assez Hollywood pour ça…)

Compagnie of Heroes a quelque chose qui « fait vrai »

Je citerai également Compagnie of Heroes qui, plus discrètement, joue davantage sur le feeling, le ressenti d’une ambiance, que sur l’apprentissage d’un savoir factuel. Proposant une approche plus réaliste que bien d’autres STR, il a un quelque chose qui « fait vrai », qui repose sur des détails, parfois insignifiants, comme par exemple le placement semi-aléatoire des membres d’une escouade d’infanterie, qui se déplacent bien plus naturellement que n’importe quelle unité d’un Age of Empire, par exemple.

Alors que dans Age of Empires, chacun trouve sa place sur une ligne en mouvement avec une simplicité qui ferait baver d’envie Frédéric II de Prusse, dans Compagnie of Heroes, on les voit s’allonger une fois pris à partie par une mitrailleuse, ramper derrière un muret afin de poursuivre leur progression… On pointe du curseur une destination, mais chaque gars se déplacent selon les circonstances, rendant perceptible (même modestement) le facteur humain sous le feu, aussi bien le stress que la prise d’initiative.

Compagny of Heroes et ses batailles urbaines
Compagnie of Heroes 2

Le jeu nous fait aussi sentir la nécessité de capturer et tenir un point, de véritablement occuper le terrain : maîtriser le théâtre d’opération n’est pas un moyen de prendre l’avantage, c’est ici une fin en soit, car c’est ce qui permet de disposer des ressources nécessaires à l’entretien de nos troupes, mais surtout d’en priver l’adversaire. La gestion des ressources est un point inévitable de tout jeu de stratégie, mais Compagnie of Heroes arrive à complètement l’intégrer au combat lui-même.

La plupart des jeux du même type proposent des unités destinées à la collecte de ressources ainsi qu’un lieu adapté à leur stockage. Cependant la gestion de l’approvisionnement ne se situe pas à la même échelle, notamment de temps, que celle du combat. En effet, une heure d’affrontement dans Compagnie of Heroes pourrait être une heure d’affrontement IRL. A l’inverse, une heure de combat dans un AoE pourrait voir une foret entière rasée, nous indiquant que le temps passé en jeu est surement plus étiré. Tout converge dans CoH à nous faire sentir l’immédiat d’une escarmouche, sans réel temps mort, et non le temps d’une bataille qui pourrait durer des mois.

Comparer le joueur et le soldat du passé : l’indécence

Et toujours avec cette idée de feeling en tête, que dire de la bande son ? Ces tirs de mitrailleuse, ces bombardements qui retournent le sol, le tout recouvrant le son des voix et même la musique si vous l’avez laissée. Alors je suis peut-être quelqu’un de particulièrement sensible, mais cette bande son me met une pression ! Si en tant que joueur je ne risque évidemment pas de prendre une balle perdue, le bruit des obus a un quelque chose de glaçant, parce que chaque tir réussi peut renverser le cours de la bataille.

Plus que le bruit d’une bombe, c’est surtout une alarme pour le joueur qui lui indique que la situation devient critique. Je n’aurais évidemment pas l’indécence de comparer le stress du joueur devant son PC à celui du Ranger dans les Ardennes. Mais il me semble que ces stimuli sonores, par l’ambiance qu’ils installent, rendent surement plus justice que d’autres jeux enregistrant des sons pour simplement coller avec l’image à l’écran. Dans Compagnie of Heroes, le son a un impact sur les nerfs.

Rendre la guerre fun ?

Voilà, c’était donc quelques exemples qui, à mon sens, tendent à montrer que le gameplay peut être porteur de savoirs en donnant la possibilité d’expérimenter ce qu’on peut lire dans un manuel ou entendre d’un témoignage. Il donne une dimension pratique, offre la possibilité de visualiser ce qui peut être nébuleux tant qu’on n’a pas été confronté à une simulation de la réalité (avec les limites de ce que peut proposer une simulation, évidemment).
J’ai parlé de jeu de guerre, déjà parce que les Total War et Compagnie of Heroes font partie de ceux sur lesquels je reviens toujours, mais aussi parce qu’ils sont les plus représentés dans l’industrie vidéoludique dès lors qu’on parle d’Histoire (ou a minima ceux qui bénéficient du plus de visibilité). Mais il y a toujours cette question qui flotte : où se trouve la limite à ne pas franchir pour s’approcher au plus près de la réalité tout en restant ludique ?

Comme une vidéo de la chaine JVH l’avait montré, la Première Guerre mondiale est difficile à représenter : attente, rareté des armes automatiques… le conflit se prête assez peu à un FPS en tout cas. Mais outre la question de « comment rend-t-on ça fun ? », il y a celle du « jusqu’où peut-on aller pour rendre ça fun ? » Parce que spoiler alert : la guerre, ça l’est pas. Et pourtant nous sommes très nombreux à passer d’excellents moments à jouer aux stratèges de salon, aux pilotes d’opérette, ou au sniper du dimanche. Je n’ai pas la réponse, et je pense qu’il n’est pas souhaitable d’en trouver une qui soit définitive, parce qu’à mon sens, la question doit systématiquement être posée pour chaque jeu. Et même si ça n’est jamais qu’un jeu en raison des partis pris, conscients ou non, des développeurs, et de ce qu’ils portent en eux de politique, après tout, pour le joueur, il s’agit surtout de jouer. Et quand c’est possible d’apprendre un peu.

Lima

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